"Le théâtre du Vide : La Symphonie Monoton-Silence d'Yves Klein / Mono Light d'Eric Michel."
in switch the light on, rainy days 2014, Philharmonie, Luxembourg, 2014.
in switch the light on, rainy days 2014, Philharmonie, Luxembourg, 2014.
Éric Michel est un artiste de lumière qui a, à sa disposition, le vide. A partir de dispositifs minimalistes dévoilés sans emphase, néons, filtres, leds, tubes et plaques fluorescents, créent des zones de sensibilité à explorer. Ils révèlent l’espace autant qu’ils se révèlent. Leurs auras de couleurs illuminent des bâtiments industriels comme Les Grands Moulins de Pantin, entrent en résonance avec des lieux sacrés, dialoguent avec Le Corbusier et Xenakis au Couvent de La Tourette, investissent institutions artistiques, bibliothèques et appartements privés.
La lumière d’Éric Michel n’est ni douce, ni vaporeuse ; elle est franche, perturbe la perception, pousse à une observation autre, à une imprégnation qui à la fois hypnotise et tient à distance. Qu’il s’agisse d’œuvres monumentales ou plus intimes, à l’instar des « Monochromes de Lumière » et des « Seven Keys », l’aura colorée interagit avec l’espace jusqu’à envelopper le spectateur dans un espace-temps en suspens. Dans cette brèche introspective et interstitielle, le spectateur est, à l’image d’une « Sculpture-Éponge », imprégné par la couleur. Il flotte dans un halo insaisissable qu’il touche pourtant du regard. Ce bain chromatique s’ouvre sur le vide, l’espace et le monde. Il propose une expérience physique et spirituelle qui est de l’ordre de l’ineffable, de l’Immatériel, de ce qu’Yves Klein citant Bachelard décrivait ainsi, lors de l’exposition « Vision in motion - motion in vision » (Hessenhuis, Anvers, 1959) : « D’abord, il n’y a rien, ensuite un rien profond, puis une profondeur bleue. [1]»
En suivant les traces d’Yves Klein, Éric Michel émet l’hypothèse d’une possible rencontre. Tous les soirs, l’installation Fluo Blue inonde de bleu une des façades du Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain de Nice, évoquant la présence absolue de l’artiste à qui, fait unique en Europe, une salle est dédiée de manière permanente. Aux Archives Yves Klein à Paris, Éric Michel propose, lors de son exposition personnelle « Lumière et Immatériel », un dialogue fictif avec le maître de la « profondeur bleue. [2] » Parmi les installations, une vidéo donne à voir un magnétophone, baigné dans la couleur, diffusant l’enregistrement sonore du Dialogue avec moi-même. Dans cette séquence de 1961, Yves le monochrome se plaît à l’exercice du monologue. Seul devant son magnétophone, il mène une réflexion sur la définition de l’acte créatif, acceptant les méandres du discours. Éric Michel matérialise ce moment intime et privilégié à travers une vidéo rendant palpable la présence immatérielle des deux artistes. Cette rencontre se prolonge dans un Passage de lumière rose, bleu, or, vert et rouge, qui répond à un autre dialogue avec soi-même, proposé au spectateur dans un Monochrome de Lumière, qui, sous l’effet d’un tube fluorescent, entre en vibration avec l’espace et agit comme une fenêtre ouverte sur soi et le monde.
Le 30 novembre 2014, à 20h, au Philharmonie Luxembourg, Éric Michel intensifie cette rencontre par la mise en espace et en lumière de La Symphonie Monoton-Silence interprétée par le compositeur et chef d’orchestre Roland Dahinden. Cette oeuvre sonore élaborée en 1946-47 par Yves Klein a notamment été jouée le 9 mars 1960 lors du célèbre hapenning « Anthropométries de l’Epoque Bleue ».
Elle est composée de vingt minutes d’un son unique, continu et vibrant qui, sans commencement, ni fin, se prolonge dans un silence du même temps. La note ou plutôt l’accord parfait de trois notes est réalisé par un orchestre et un chœur. La performance sonore réside davantage dans l’équilibre fragile entre le son et le silence pour une réelle résonance ou vertige que dans la durée même de la pièce. Chaque représentation est une performance unique puisque l’oeuvre dépend tant des conditions d’exécution que de réception. La présence du public, l’état-moment, l’énergie dégagée par l’événement sont au coeur de cette action qui rappelle l’aphorisme du compositeur Gustav Malher « Tout est dans une partition, sauf l'essentiel. » La proposition MonoLight d’Éric Michel offre un écrin à l’action d’Yves Klein.
D’abord, le signal. Dès l’extérieur, une lumière bleue illumine le bâtiment, créant une vibration qui annonce qu’un grand événement se profile. On est dans le domaine de l’apparition, de l’avènement poétique. Cet appel, capital dans le travail d’Yves Klein[3], fonctionne comme un portail spatio-temporel, un passage vers une zone de pure sensibilité. Elle rappelle la tentative avortée d’illumination bleue de l’Obélisque de la place de la Concorde à Paris pour le vernissage de l’exposition « La spécialisation de la sensibilité à l’état de matière première en sensibilité » (le « Vide ») [4].
A l’intérieur, le bleu enveloppe également les colonnades et le foyer du Philharmonie Luxembourg. Il guide, rassure, enrobe. Au détour, une oeuvre plus confidentielle, Seven Keys Mono Blue, invite au recueillement. Elle est composée de l’alignement de sept plaques fluorescentes bleues disposées devant un tube de lumière noire. C’est cette même oeuvre qu’Éric Michel avait disposée aux Archives Yves Klein à Paris sous une photographie qu’il avait réalisée d’un espace vide ; l’oeuvre de lumière apportant une tonalité musicale au vide de la photographie. Puis, le bleu glisse jusqu’à la salle de spectacle. Le sol bascule dans un magenta soutenu. Les loges en étage sont inondées de bleu, la couleur s’agrippe à ces espaces vides et leur donne une profondeur immatérielle. Inatteignables, ces entités lumineuses tentent de matérialiser la latence et transforment la salle de spectacle en base expérimentale.
Le moment est solennel. L’interprétation va commencer. Le fonds de scène accueille un monochrome de lumière bleu vacillant. Il est un espace de projection mental, un catalyseur d’énergie, une porte, un passage « de l’autre côté du miroir [5] ».
Éric Michel partage avec Klein un même vocabulaire, un rapport particulier à la couleur, à la monochromie, à la force d’imprégnation, à la contemplation, au spectateur, à la lecture et à l’écriture, à l’architecture et à la musique[6], à la cérémonie et au Vide. Il tire parti des qualités architecturales du bâtiment pour créer un parcours initiatique menant à l’appréhension du Vide. La création d’une résonance de couleurs dans un temple de la musique rappelle les « Reliefs-éponges » et « Monochromes » de l’Opéra-Théatre de Gelsenkirchen en Allemagne.
De la rencontre entre La Symphonie Monoton-Silence et MonoLight, naît une expérience unique où les sens interagissent. L’interaction sonore, visuelle et spatiale fonctionne comme un sas de déconditionnement qui évince les codes de représentation traditionnels. Elle est un dispositif permettant une ouverture interstitielle, un renversement. Dans une société de plus en plus détachée de l’appréhension physique, elle rattache la perception non seulement à l’esprit mais aussi et avant tout à l’enveloppe charnelle. Le spectateur est baigné dans une harmonie fusionnelle. La dilatation de l’espace et du temps crée un mouvement « continué » qui immerge le spectateur-acteur dans une intersubjectivité laissant envisager une ouverture possible sur le bruissement de l’univers. La Symphonie Monoton-Silence peut être perçue comme le pendant des monochromes d’Yves Klein, lui qui disait s’imprégner du grand tout du monde pour restituer au spectateur un « état-moment de sensibilité picturale. » Ce qui intéresse Yves Klein, comme Éric Michel, c’est l’énergie qui circule entre les choses : la matérialité sans matière, ce vide qui semble être à la fois l’outil de la dématérialisation nécessaire à la saisie du monde et le matériau originel de sa création, un vide latent, un vide de tous les possibles.
Cette quête de l’Immatériel traverse la vie et l’œuvre d’Yves Klein de la signature de l’immensité du ciel sur une plage de Nice en 1946 à la Rocket pneumatique de 1962 (maquette destinée à offrir un voyage « sans retour pour les consommateurs d’Immatériel décidés à disparaître un jour dans le vide [7] ») en passant par les Zones de sensibilité picturale immatérielle et Dimanche, Le Journal d’un seul jour [8], dans lequel l’artiste synthétise sa conception du « Théâtre du Vide », renversant les rapports entre acteur-spectateur, scène-salle, pour créer un véritable spectacle de la vie, absolu, métaphysique.
La couleur-lumière d’Éric Michel par sa diffusion dans l’espace prolonge ce processus d’imprégnation et de dématérialisation, tel que défini par Klein lors de sa conférence à La Sorbonne à Paris le 3 juin 1959 : « La sensibilité colore, encore très matérielle, doit être réduite à une sensibilité immatérielle plus pneumatique. [9] » Les installations d’Éric Michel créent un halo de lumière à la fois tangible et insaisissable qui épouse l’architecture investie pour révéler un monde de sensations enfouies où tout semble connecté. Ces vibrations lumineuses engendrent une perception haptique qui s’appréhende par le corps sans passer par le filtre du langage, sans intermédiaire. Le spectateur-acteur est au centre du dispositif ouvrant sur un monde non limitatif. Éric Michel tel un passeur, conduit, au Saut dans le vide [10] initié par Klein.
--
[1] Gaston Bachelard, L’air et les songes : Essai sur l’imagination du mouvement, Corti, Paris, 1943. Cette citation est reprise par Éric Michel dans le manifeste « La Voie » qu’il écrit à Tokyo en 2001. C’est d’ailleurs après un long séjour au Japon qu’Éric Michel comme Yves Klein s’imprègnent d’une culture rituelle et spirituelle du Vide et concrétisent leurs recherches. Éric Michel poursuit cette exploration de la couleur immatérielle dans un second manifeste intitulé « Le Passeur » rédigé à Rome en 2007.
[2] Op. cit.
[3] Cf. « Le Théâtre du Vide » in Dimanche : Le Journal d’un Seul Jour, Paris, 27 novembre 1960.
[4] L’autorisation déposée en Préfecture sera finalement refusée au dernier moment.
[5] Lewis Carroll, De l’autre côté du miroir, 1871.
[6] Éric Michel est également compositeur. Après avoir monté plusieurs groupes de musique et participé notamment à la première fête de la musique en France (en 1982), il compose l’environnement sonore de ses vidéos.
[7] Site Internet des Archives Yves Klein, Paris.
[8] Op. cit.
[9] Yves Klein, « L’évolution de l’art vers l’immatériel », Conférence à la Sorbonne, 3 juin 1959, in « Le dépassement de la problématique de l’art et autres écrits », Beaux-Arts de Paris, les éditions, 2011, p. 107.
[10] « Le 19 octobre 1960, Yves Klein réalise Le Saut dans le vide, 3, rue Gentil-Bernard à Fontenay-aux-Roses, qui est photographié par Harry Shunk et John Kender. Plusieurs prises de vue sont effectuées. Une photographie de cette "lévitation" est publiée dans Dimanche : Le Journal d’un Seul Jour (op.cit.).
La lumière d’Éric Michel n’est ni douce, ni vaporeuse ; elle est franche, perturbe la perception, pousse à une observation autre, à une imprégnation qui à la fois hypnotise et tient à distance. Qu’il s’agisse d’œuvres monumentales ou plus intimes, à l’instar des « Monochromes de Lumière » et des « Seven Keys », l’aura colorée interagit avec l’espace jusqu’à envelopper le spectateur dans un espace-temps en suspens. Dans cette brèche introspective et interstitielle, le spectateur est, à l’image d’une « Sculpture-Éponge », imprégné par la couleur. Il flotte dans un halo insaisissable qu’il touche pourtant du regard. Ce bain chromatique s’ouvre sur le vide, l’espace et le monde. Il propose une expérience physique et spirituelle qui est de l’ordre de l’ineffable, de l’Immatériel, de ce qu’Yves Klein citant Bachelard décrivait ainsi, lors de l’exposition « Vision in motion - motion in vision » (Hessenhuis, Anvers, 1959) : « D’abord, il n’y a rien, ensuite un rien profond, puis une profondeur bleue. [1]»
En suivant les traces d’Yves Klein, Éric Michel émet l’hypothèse d’une possible rencontre. Tous les soirs, l’installation Fluo Blue inonde de bleu une des façades du Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain de Nice, évoquant la présence absolue de l’artiste à qui, fait unique en Europe, une salle est dédiée de manière permanente. Aux Archives Yves Klein à Paris, Éric Michel propose, lors de son exposition personnelle « Lumière et Immatériel », un dialogue fictif avec le maître de la « profondeur bleue. [2] » Parmi les installations, une vidéo donne à voir un magnétophone, baigné dans la couleur, diffusant l’enregistrement sonore du Dialogue avec moi-même. Dans cette séquence de 1961, Yves le monochrome se plaît à l’exercice du monologue. Seul devant son magnétophone, il mène une réflexion sur la définition de l’acte créatif, acceptant les méandres du discours. Éric Michel matérialise ce moment intime et privilégié à travers une vidéo rendant palpable la présence immatérielle des deux artistes. Cette rencontre se prolonge dans un Passage de lumière rose, bleu, or, vert et rouge, qui répond à un autre dialogue avec soi-même, proposé au spectateur dans un Monochrome de Lumière, qui, sous l’effet d’un tube fluorescent, entre en vibration avec l’espace et agit comme une fenêtre ouverte sur soi et le monde.
Le 30 novembre 2014, à 20h, au Philharmonie Luxembourg, Éric Michel intensifie cette rencontre par la mise en espace et en lumière de La Symphonie Monoton-Silence interprétée par le compositeur et chef d’orchestre Roland Dahinden. Cette oeuvre sonore élaborée en 1946-47 par Yves Klein a notamment été jouée le 9 mars 1960 lors du célèbre hapenning « Anthropométries de l’Epoque Bleue ».
Elle est composée de vingt minutes d’un son unique, continu et vibrant qui, sans commencement, ni fin, se prolonge dans un silence du même temps. La note ou plutôt l’accord parfait de trois notes est réalisé par un orchestre et un chœur. La performance sonore réside davantage dans l’équilibre fragile entre le son et le silence pour une réelle résonance ou vertige que dans la durée même de la pièce. Chaque représentation est une performance unique puisque l’oeuvre dépend tant des conditions d’exécution que de réception. La présence du public, l’état-moment, l’énergie dégagée par l’événement sont au coeur de cette action qui rappelle l’aphorisme du compositeur Gustav Malher « Tout est dans une partition, sauf l'essentiel. » La proposition MonoLight d’Éric Michel offre un écrin à l’action d’Yves Klein.
D’abord, le signal. Dès l’extérieur, une lumière bleue illumine le bâtiment, créant une vibration qui annonce qu’un grand événement se profile. On est dans le domaine de l’apparition, de l’avènement poétique. Cet appel, capital dans le travail d’Yves Klein[3], fonctionne comme un portail spatio-temporel, un passage vers une zone de pure sensibilité. Elle rappelle la tentative avortée d’illumination bleue de l’Obélisque de la place de la Concorde à Paris pour le vernissage de l’exposition « La spécialisation de la sensibilité à l’état de matière première en sensibilité » (le « Vide ») [4].
A l’intérieur, le bleu enveloppe également les colonnades et le foyer du Philharmonie Luxembourg. Il guide, rassure, enrobe. Au détour, une oeuvre plus confidentielle, Seven Keys Mono Blue, invite au recueillement. Elle est composée de l’alignement de sept plaques fluorescentes bleues disposées devant un tube de lumière noire. C’est cette même oeuvre qu’Éric Michel avait disposée aux Archives Yves Klein à Paris sous une photographie qu’il avait réalisée d’un espace vide ; l’oeuvre de lumière apportant une tonalité musicale au vide de la photographie. Puis, le bleu glisse jusqu’à la salle de spectacle. Le sol bascule dans un magenta soutenu. Les loges en étage sont inondées de bleu, la couleur s’agrippe à ces espaces vides et leur donne une profondeur immatérielle. Inatteignables, ces entités lumineuses tentent de matérialiser la latence et transforment la salle de spectacle en base expérimentale.
Le moment est solennel. L’interprétation va commencer. Le fonds de scène accueille un monochrome de lumière bleu vacillant. Il est un espace de projection mental, un catalyseur d’énergie, une porte, un passage « de l’autre côté du miroir [5] ».
Éric Michel partage avec Klein un même vocabulaire, un rapport particulier à la couleur, à la monochromie, à la force d’imprégnation, à la contemplation, au spectateur, à la lecture et à l’écriture, à l’architecture et à la musique[6], à la cérémonie et au Vide. Il tire parti des qualités architecturales du bâtiment pour créer un parcours initiatique menant à l’appréhension du Vide. La création d’une résonance de couleurs dans un temple de la musique rappelle les « Reliefs-éponges » et « Monochromes » de l’Opéra-Théatre de Gelsenkirchen en Allemagne.
De la rencontre entre La Symphonie Monoton-Silence et MonoLight, naît une expérience unique où les sens interagissent. L’interaction sonore, visuelle et spatiale fonctionne comme un sas de déconditionnement qui évince les codes de représentation traditionnels. Elle est un dispositif permettant une ouverture interstitielle, un renversement. Dans une société de plus en plus détachée de l’appréhension physique, elle rattache la perception non seulement à l’esprit mais aussi et avant tout à l’enveloppe charnelle. Le spectateur est baigné dans une harmonie fusionnelle. La dilatation de l’espace et du temps crée un mouvement « continué » qui immerge le spectateur-acteur dans une intersubjectivité laissant envisager une ouverture possible sur le bruissement de l’univers. La Symphonie Monoton-Silence peut être perçue comme le pendant des monochromes d’Yves Klein, lui qui disait s’imprégner du grand tout du monde pour restituer au spectateur un « état-moment de sensibilité picturale. » Ce qui intéresse Yves Klein, comme Éric Michel, c’est l’énergie qui circule entre les choses : la matérialité sans matière, ce vide qui semble être à la fois l’outil de la dématérialisation nécessaire à la saisie du monde et le matériau originel de sa création, un vide latent, un vide de tous les possibles.
Cette quête de l’Immatériel traverse la vie et l’œuvre d’Yves Klein de la signature de l’immensité du ciel sur une plage de Nice en 1946 à la Rocket pneumatique de 1962 (maquette destinée à offrir un voyage « sans retour pour les consommateurs d’Immatériel décidés à disparaître un jour dans le vide [7] ») en passant par les Zones de sensibilité picturale immatérielle et Dimanche, Le Journal d’un seul jour [8], dans lequel l’artiste synthétise sa conception du « Théâtre du Vide », renversant les rapports entre acteur-spectateur, scène-salle, pour créer un véritable spectacle de la vie, absolu, métaphysique.
La couleur-lumière d’Éric Michel par sa diffusion dans l’espace prolonge ce processus d’imprégnation et de dématérialisation, tel que défini par Klein lors de sa conférence à La Sorbonne à Paris le 3 juin 1959 : « La sensibilité colore, encore très matérielle, doit être réduite à une sensibilité immatérielle plus pneumatique. [9] » Les installations d’Éric Michel créent un halo de lumière à la fois tangible et insaisissable qui épouse l’architecture investie pour révéler un monde de sensations enfouies où tout semble connecté. Ces vibrations lumineuses engendrent une perception haptique qui s’appréhende par le corps sans passer par le filtre du langage, sans intermédiaire. Le spectateur-acteur est au centre du dispositif ouvrant sur un monde non limitatif. Éric Michel tel un passeur, conduit, au Saut dans le vide [10] initié par Klein.
--
[1] Gaston Bachelard, L’air et les songes : Essai sur l’imagination du mouvement, Corti, Paris, 1943. Cette citation est reprise par Éric Michel dans le manifeste « La Voie » qu’il écrit à Tokyo en 2001. C’est d’ailleurs après un long séjour au Japon qu’Éric Michel comme Yves Klein s’imprègnent d’une culture rituelle et spirituelle du Vide et concrétisent leurs recherches. Éric Michel poursuit cette exploration de la couleur immatérielle dans un second manifeste intitulé « Le Passeur » rédigé à Rome en 2007.
[2] Op. cit.
[3] Cf. « Le Théâtre du Vide » in Dimanche : Le Journal d’un Seul Jour, Paris, 27 novembre 1960.
[4] L’autorisation déposée en Préfecture sera finalement refusée au dernier moment.
[5] Lewis Carroll, De l’autre côté du miroir, 1871.
[6] Éric Michel est également compositeur. Après avoir monté plusieurs groupes de musique et participé notamment à la première fête de la musique en France (en 1982), il compose l’environnement sonore de ses vidéos.
[7] Site Internet des Archives Yves Klein, Paris.
[8] Op. cit.
[9] Yves Klein, « L’évolution de l’art vers l’immatériel », Conférence à la Sorbonne, 3 juin 1959, in « Le dépassement de la problématique de l’art et autres écrits », Beaux-Arts de Paris, les éditions, 2011, p. 107.
[10] « Le 19 octobre 1960, Yves Klein réalise Le Saut dans le vide, 3, rue Gentil-Bernard à Fontenay-aux-Roses, qui est photographié par Harry Shunk et John Kender. Plusieurs prises de vue sont effectuées. Une photographie de cette "lévitation" est publiée dans Dimanche : Le Journal d’un Seul Jour (op.cit.).