« Le Jardin des Délices de Michel Blazy »
in Cosmogonies, au gré des éléments, Editions Snoeck, Gand / MAMAC, Nice, 2018
Michel Blazy est né sous le paysage azuréen, le 24 avril 1966, période de pleines ébullitions de formes libératrices, de manières d’être au monde. L’art minimal est alors en plein essor, le Land Art et Fluxus se développent, étiolant le principe de l’autonomie de l’œuvre d’art et du White Cube 1 au profit d’un rapprochement entre l’art et la vie. Diplômé de la villa Arson – École nationale supérieure d’art de Nice, puis de Marseille au début des années 1990, l’artiste s’installe sur l’île Saint-Denis où, par des effets et des expérimentations low tech, il observe et travaille avec le vivant. Son périmètre de captation renvoie au monde domestique et à la société de consommation et s’étend du jardin à la maison jusqu’au supermarché.
L’artiste puise dans son bac à fruits et légumes : il empile des peaux d’orange pour créer des montagnes de sculptures-champignons, dore un oignon germé pour lui donner l’apparence d’une précieuse vanité, met en oeuvre de somptueuses fresques avec de la purée de betterave ou de carotte. Il sort des placards des pâtes de blé dur ou de soja pour façonner des sculptures aux allures végétales ou animales, transforme des bonbons Kréma® en de splendides galets mous aux couleurs vives, use de liquide vaisselle et poubelles pour créer des installations moussantes monumentales. De son atelier, il récupère des serpillières, paires de chaussures, manteaux ou téléphones portables qu’il soumet à la prise d’une végétation spontanée. Michel Blazy laisse faire « la vie des choses » jusqu’à susciter l’émerveillement par des trajectoires inattendues. Ses petites activités évolutives et éphémères donnent à voir des expérimentations et processus en perpétuelles transformations, mutations et proliférations. Il réalise, en collaboration avec des souris, des tableaux de crème chocolat et vanille où se dessine un monde minéralisé, confectionne des météorites avec du coton et des lentilles, crée ses propres pierres précieuses à l’aide de papier peint gorgé d’eau et de colorant alimentaire, séchant progressivement. Influencé tant par le travail d’un Robert Morris (sur la liberté des matières) que d’un Dieter Roth (sur la décomposition) et d’un Hans Haacke (sur le vivant), Michel Blazy est l’une des figures françaises les plus originales de sa génération. En écho à l’exposition « Cosmogonies, au gré des éléments », présentée au MAMAC, déployant une constellation d’artistes sur l’appréhension de phénomènes naturels, Michel Blazy est invité à investir la galerie des Ponchettes, un lieu historique situé en bord de mer. Cette ancienne halle aux poissons de trente mètres de long est dévolue à l’art vivant sous l’impulsion d’Henri Matisse et de Pierre Bonnard des 1950 ; Yves Klein, Arman et Martial Raysse y ont notamment exposé en 1967. Plus récemment, en 2017, Noël Dolla y pense une « Restructuration spatiale » à l’échelle de l’architecture métamorphosant poétiquement l’espace vouté en une chapelle laïque. Michel Blazy s’empare lui aussi de la totalité de l’espace. Il imagine une installation immersive et environnementale convoquant l’art des jardins à l’esthétique de la ruine. Les arches recouvertes d’un rouge pompéien se détachent du ciel d’un bleu qui remet en mémoire les peintures de Giotto. Au centre de cette fresque murale prend place un lit de charbon duquel une végétation spontanée prend vie. Le noir mat du bois calciné contraste avec la brillance et la fraîcheur de la verdure accentuant l’idée de régénérescence. Une sculpture antique recouverte d’aluminium, une brique et un disque dur envahis de végétation spontanée, des vêtements recouverts de mousse complètent ce paysage dessiné à l’échelle de l’architecture tel un jardin de méditation postromantique, une Timeline indéfinissable.
Au mur, une pizza réalisée à partir de colle à papier peint, polystyrène extrudé, eau, colorants alimentaires, arômes artificiels, fonctionne comme un tableau. À y regarder de plus près, le rouge craquelé des parois n’est autre que du concentré de tomate, taloché par couches successives, et le bleu intense de la voute a été confectionné à partir d’agar-agar, badigeonné telle une peinture à la chaux. Les recettes picturales ancestrales laissent place à l’utilisation de matériaux consommables, produits ordinaires de l’industrie agroalimentaire détournés de leur fonction. Les wall paintings organiques se développent à l’instar d’un phénomène qui atteint l’ensemble d’une surface contaminée par un virus. Cette prolifération germinante propose une expérience physique convoquant nos sens, tout particulièrement l’odorat et cette faculté de pouvoir « toucher du regard ». Les murs prennent vie, respirent, suent, pèlent, instaurant un rapprochement charnel entre l’homme et l’architecture. Cette exploration sensible de micro-organismes, par leurs aspects, couleurs, odeurs, consistances, fonctionne comme une invitation a un voyage extraordinaire, allant du domestique et du naturel a l’imaginaire et au sauvage.
L’espace-temps du vivant
D’emblée, nous sommes frappés par le rapport au temps qui est instauré ici. Le titre de l’installation, Timeline, évoque une ligne du temps, mais celle-ci semble indéfinissable ou spiralée. La Timeline de Michel Blazy instille de fait une dimension anachronique. Sommes-nous hors du monde linéaire qu’est le nôtre ? Dans une ère où serait inextricablement mêlé l’art pariétal, antique et renaissant ? À la lisière dans un futur non advenu où la nature aurait repris le dessus ? Où la phase géologique de l’anthropocène (époque des impacts de l’homme sur la terre) aurait atteint son paroxysme donnant naissance à un paysage post-humain ? Au-delà de ces évocations et pérégrinations poétiques, l’ensemble de la démarche de Michel Blazy se construit dans un rapport à la temporalité éloignée de l’immédiateté revendiquée par notre société. D’abord, la phase de création. L’artiste se met en retrait, s’efface. Privilégiant l’observation lente et curieuse a l’action, il analyse « ce qui se passe » entre différents organismes vivants et l’interaction des éléments, laisse faire la matière et l’encourage à trouver une forme qu’il retiendra et développera par la suite. Ainsi, les installations de Michel Blazy paraissent se créer d’elles-mêmes à l’image des formes modelées par la nature durant des millénaires. Elles sont la manifestation d’une création qui est en train de se faire, ou le travail de la main s’efface peu à peu au profit de phénomènes d’apparition, d’émergence, de formation.
Ensuite, la phase d’activation. L’œuvre de Michel Blazy est conçue dans et par le temps : de la pousse des plantes aux pourrissements des matériaux, de l’apparition d’un champignon à sa propagation et putréfaction. Elle rejoue le cycle perpétuel de la vie et de la mort. L’œuvre devient une pérennité non figée faite de transformations et de réinterprétations (comme on peut le dire en musique) ; chacune s’actualise lors de sa présentation et est en cela différente, selon les quantités, les surfaces, l’hygrométrie de l’espace investi. De même, chacune est unique au moment même où on l’observe et se découvre par phases d’évolution. Une exposition de Michel Blazy ne se visite pas une seule et unique fois, ici rien n’est figé, il faut prendre le temps d’observer, de l’attraction au dégoût, et y revenir, encore et encore. C’est ainsi que l’on fait l’expérience de l’œuvre dans toute son entièreté, que l’on entre plus en avant dans la démarche de cet artiste observateur du vivant. Parcourir le lieu et observer les incidents organiques, c’est un peu l’attitude de l’artiste à son atelier qui tel un expérimentateur teste et attend, à la recherche d’un incident merveilleux, d’une symbiose, d’événements générateurs de non-formes. Son travail résulte d’un savant mélange fait de maîtrise et d’aléatoire. Les formes que prennent ces matières périssables sont variées : craquelures, boursoufflements, émiettements, pelures, écaillements, moisissures… Leur aspect, couleurs et consistances évoluent constamment. La richesse de ces diversités révèle les forces potentiellement créatrices et libératrices de la matière. En cela, l’œuvre de Michel Blazy résulte d’un rapport au monde éminemment politique.
Une présence au monde libre et conscientisée
Dans ce monde précaire où la technologie est vouée à l’obsolescence, le vivant prend le dessus, donne a appréhender le devenir dans une économie de gestes et de moyens esquissant en filigrane une manière d’être au monde. L’artiste favorise en effet la lenteur dans un rapport non programmé aux choses. Il s’affranchit des impératifs de rendement et de productivité promus par notre société, mieux il délègue le faire au profit du laisser faire. Il utilise des moyens minimaux, des matériaux peu onéreux et ordinaires que l’on trouve en supermarché ou dans la nature urbaine ou périurbaine, délaisse le geste artistique aux animaux (souris, escargots) ou au temps qui passe. Les œuvres sont donc facilement reproductibles dans un esprit do it yourself ; cependant, elles demandent du temps et de l’attention, valeurs qui nous échappent souvent dans une société tournée vers l’instant et le futur proche. Détournant les aliments et les produits de notre quotidien pour leur conférer une seconde vie, plus autonome, plus indépendante et libératrice, les petites activités de Michel Blazy sollicitent l’imprévu, l’accident, l’avènement. Ces expériences nous rappellent que notre volonté de figer et de conserver les choses qui nous entourent ne peut être qu’une tentative, qu’un fantasme, vains. Faisant un pas de côté par rapport à la marchandisation de l’art contemporain, l’œuvre de Michel Blazy nécessite l’application d’un protocole, du temps, de l’observation et de l’entretien. Michel Blazy ne crée pas des objets prêts à consommer mais des environnements sensoriels, des paysages immersifs englobant l’architecture investie et le spectateur : serres envahies de plantes vertes, cultures de pleurotes, murs qui pèlent, lâchers d’escargots, sols cristallisés, cocons en putréfaction… Pour l’artiste, il s’agit d’ouvrir un espace d’existence, de promouvoir une nouvelle présence au monde, invitant le public a participer activement à l’expérience. Voila l’arrière-plan des dérives de l’artiste. L’espace d’exposition devient ainsi une scène expérimentale, un « forum démocratique 2 », ou le public est un agent actif. Inscrite de manière spécifique et minimale dans l’espace, l’installation proposée à la galerie des Ponchettes nous plonge dans une atmosphère chromatique, olfactive et sensorielle, où les œuvres répondent à la fois au site et à notre propre corps, où l’interaction des éléments, l’humide et le chaud, le feu et l’eau, mais aussi les produits de l’industrie agroalimentaire, les objets high and low tech, la végétation, le bois et l’aluminium interagissent jusqu’a convoquer et faire fusionner tous nos sens dans une expérience synesthésique. Le Jardin des délices de Michel Blazy, à l’instar de celui de Jérôme Bosch, fonctionne comme un parcours mémoriel dans la concrétion des images et du monde. Il semble a la fois contenir le passé originel et le devenir, le mouvement perpétuel et le transitoire.
in Cosmogonies, au gré des éléments, Editions Snoeck, Gand / MAMAC, Nice, 2018
Michel Blazy est né sous le paysage azuréen, le 24 avril 1966, période de pleines ébullitions de formes libératrices, de manières d’être au monde. L’art minimal est alors en plein essor, le Land Art et Fluxus se développent, étiolant le principe de l’autonomie de l’œuvre d’art et du White Cube 1 au profit d’un rapprochement entre l’art et la vie. Diplômé de la villa Arson – École nationale supérieure d’art de Nice, puis de Marseille au début des années 1990, l’artiste s’installe sur l’île Saint-Denis où, par des effets et des expérimentations low tech, il observe et travaille avec le vivant. Son périmètre de captation renvoie au monde domestique et à la société de consommation et s’étend du jardin à la maison jusqu’au supermarché.
L’artiste puise dans son bac à fruits et légumes : il empile des peaux d’orange pour créer des montagnes de sculptures-champignons, dore un oignon germé pour lui donner l’apparence d’une précieuse vanité, met en oeuvre de somptueuses fresques avec de la purée de betterave ou de carotte. Il sort des placards des pâtes de blé dur ou de soja pour façonner des sculptures aux allures végétales ou animales, transforme des bonbons Kréma® en de splendides galets mous aux couleurs vives, use de liquide vaisselle et poubelles pour créer des installations moussantes monumentales. De son atelier, il récupère des serpillières, paires de chaussures, manteaux ou téléphones portables qu’il soumet à la prise d’une végétation spontanée. Michel Blazy laisse faire « la vie des choses » jusqu’à susciter l’émerveillement par des trajectoires inattendues. Ses petites activités évolutives et éphémères donnent à voir des expérimentations et processus en perpétuelles transformations, mutations et proliférations. Il réalise, en collaboration avec des souris, des tableaux de crème chocolat et vanille où se dessine un monde minéralisé, confectionne des météorites avec du coton et des lentilles, crée ses propres pierres précieuses à l’aide de papier peint gorgé d’eau et de colorant alimentaire, séchant progressivement. Influencé tant par le travail d’un Robert Morris (sur la liberté des matières) que d’un Dieter Roth (sur la décomposition) et d’un Hans Haacke (sur le vivant), Michel Blazy est l’une des figures françaises les plus originales de sa génération. En écho à l’exposition « Cosmogonies, au gré des éléments », présentée au MAMAC, déployant une constellation d’artistes sur l’appréhension de phénomènes naturels, Michel Blazy est invité à investir la galerie des Ponchettes, un lieu historique situé en bord de mer. Cette ancienne halle aux poissons de trente mètres de long est dévolue à l’art vivant sous l’impulsion d’Henri Matisse et de Pierre Bonnard des 1950 ; Yves Klein, Arman et Martial Raysse y ont notamment exposé en 1967. Plus récemment, en 2017, Noël Dolla y pense une « Restructuration spatiale » à l’échelle de l’architecture métamorphosant poétiquement l’espace vouté en une chapelle laïque. Michel Blazy s’empare lui aussi de la totalité de l’espace. Il imagine une installation immersive et environnementale convoquant l’art des jardins à l’esthétique de la ruine. Les arches recouvertes d’un rouge pompéien se détachent du ciel d’un bleu qui remet en mémoire les peintures de Giotto. Au centre de cette fresque murale prend place un lit de charbon duquel une végétation spontanée prend vie. Le noir mat du bois calciné contraste avec la brillance et la fraîcheur de la verdure accentuant l’idée de régénérescence. Une sculpture antique recouverte d’aluminium, une brique et un disque dur envahis de végétation spontanée, des vêtements recouverts de mousse complètent ce paysage dessiné à l’échelle de l’architecture tel un jardin de méditation postromantique, une Timeline indéfinissable.
Au mur, une pizza réalisée à partir de colle à papier peint, polystyrène extrudé, eau, colorants alimentaires, arômes artificiels, fonctionne comme un tableau. À y regarder de plus près, le rouge craquelé des parois n’est autre que du concentré de tomate, taloché par couches successives, et le bleu intense de la voute a été confectionné à partir d’agar-agar, badigeonné telle une peinture à la chaux. Les recettes picturales ancestrales laissent place à l’utilisation de matériaux consommables, produits ordinaires de l’industrie agroalimentaire détournés de leur fonction. Les wall paintings organiques se développent à l’instar d’un phénomène qui atteint l’ensemble d’une surface contaminée par un virus. Cette prolifération germinante propose une expérience physique convoquant nos sens, tout particulièrement l’odorat et cette faculté de pouvoir « toucher du regard ». Les murs prennent vie, respirent, suent, pèlent, instaurant un rapprochement charnel entre l’homme et l’architecture. Cette exploration sensible de micro-organismes, par leurs aspects, couleurs, odeurs, consistances, fonctionne comme une invitation a un voyage extraordinaire, allant du domestique et du naturel a l’imaginaire et au sauvage.
L’espace-temps du vivant
D’emblée, nous sommes frappés par le rapport au temps qui est instauré ici. Le titre de l’installation, Timeline, évoque une ligne du temps, mais celle-ci semble indéfinissable ou spiralée. La Timeline de Michel Blazy instille de fait une dimension anachronique. Sommes-nous hors du monde linéaire qu’est le nôtre ? Dans une ère où serait inextricablement mêlé l’art pariétal, antique et renaissant ? À la lisière dans un futur non advenu où la nature aurait repris le dessus ? Où la phase géologique de l’anthropocène (époque des impacts de l’homme sur la terre) aurait atteint son paroxysme donnant naissance à un paysage post-humain ? Au-delà de ces évocations et pérégrinations poétiques, l’ensemble de la démarche de Michel Blazy se construit dans un rapport à la temporalité éloignée de l’immédiateté revendiquée par notre société. D’abord, la phase de création. L’artiste se met en retrait, s’efface. Privilégiant l’observation lente et curieuse a l’action, il analyse « ce qui se passe » entre différents organismes vivants et l’interaction des éléments, laisse faire la matière et l’encourage à trouver une forme qu’il retiendra et développera par la suite. Ainsi, les installations de Michel Blazy paraissent se créer d’elles-mêmes à l’image des formes modelées par la nature durant des millénaires. Elles sont la manifestation d’une création qui est en train de se faire, ou le travail de la main s’efface peu à peu au profit de phénomènes d’apparition, d’émergence, de formation.
Ensuite, la phase d’activation. L’œuvre de Michel Blazy est conçue dans et par le temps : de la pousse des plantes aux pourrissements des matériaux, de l’apparition d’un champignon à sa propagation et putréfaction. Elle rejoue le cycle perpétuel de la vie et de la mort. L’œuvre devient une pérennité non figée faite de transformations et de réinterprétations (comme on peut le dire en musique) ; chacune s’actualise lors de sa présentation et est en cela différente, selon les quantités, les surfaces, l’hygrométrie de l’espace investi. De même, chacune est unique au moment même où on l’observe et se découvre par phases d’évolution. Une exposition de Michel Blazy ne se visite pas une seule et unique fois, ici rien n’est figé, il faut prendre le temps d’observer, de l’attraction au dégoût, et y revenir, encore et encore. C’est ainsi que l’on fait l’expérience de l’œuvre dans toute son entièreté, que l’on entre plus en avant dans la démarche de cet artiste observateur du vivant. Parcourir le lieu et observer les incidents organiques, c’est un peu l’attitude de l’artiste à son atelier qui tel un expérimentateur teste et attend, à la recherche d’un incident merveilleux, d’une symbiose, d’événements générateurs de non-formes. Son travail résulte d’un savant mélange fait de maîtrise et d’aléatoire. Les formes que prennent ces matières périssables sont variées : craquelures, boursoufflements, émiettements, pelures, écaillements, moisissures… Leur aspect, couleurs et consistances évoluent constamment. La richesse de ces diversités révèle les forces potentiellement créatrices et libératrices de la matière. En cela, l’œuvre de Michel Blazy résulte d’un rapport au monde éminemment politique.
Une présence au monde libre et conscientisée
Dans ce monde précaire où la technologie est vouée à l’obsolescence, le vivant prend le dessus, donne a appréhender le devenir dans une économie de gestes et de moyens esquissant en filigrane une manière d’être au monde. L’artiste favorise en effet la lenteur dans un rapport non programmé aux choses. Il s’affranchit des impératifs de rendement et de productivité promus par notre société, mieux il délègue le faire au profit du laisser faire. Il utilise des moyens minimaux, des matériaux peu onéreux et ordinaires que l’on trouve en supermarché ou dans la nature urbaine ou périurbaine, délaisse le geste artistique aux animaux (souris, escargots) ou au temps qui passe. Les œuvres sont donc facilement reproductibles dans un esprit do it yourself ; cependant, elles demandent du temps et de l’attention, valeurs qui nous échappent souvent dans une société tournée vers l’instant et le futur proche. Détournant les aliments et les produits de notre quotidien pour leur conférer une seconde vie, plus autonome, plus indépendante et libératrice, les petites activités de Michel Blazy sollicitent l’imprévu, l’accident, l’avènement. Ces expériences nous rappellent que notre volonté de figer et de conserver les choses qui nous entourent ne peut être qu’une tentative, qu’un fantasme, vains. Faisant un pas de côté par rapport à la marchandisation de l’art contemporain, l’œuvre de Michel Blazy nécessite l’application d’un protocole, du temps, de l’observation et de l’entretien. Michel Blazy ne crée pas des objets prêts à consommer mais des environnements sensoriels, des paysages immersifs englobant l’architecture investie et le spectateur : serres envahies de plantes vertes, cultures de pleurotes, murs qui pèlent, lâchers d’escargots, sols cristallisés, cocons en putréfaction… Pour l’artiste, il s’agit d’ouvrir un espace d’existence, de promouvoir une nouvelle présence au monde, invitant le public a participer activement à l’expérience. Voila l’arrière-plan des dérives de l’artiste. L’espace d’exposition devient ainsi une scène expérimentale, un « forum démocratique 2 », ou le public est un agent actif. Inscrite de manière spécifique et minimale dans l’espace, l’installation proposée à la galerie des Ponchettes nous plonge dans une atmosphère chromatique, olfactive et sensorielle, où les œuvres répondent à la fois au site et à notre propre corps, où l’interaction des éléments, l’humide et le chaud, le feu et l’eau, mais aussi les produits de l’industrie agroalimentaire, les objets high and low tech, la végétation, le bois et l’aluminium interagissent jusqu’a convoquer et faire fusionner tous nos sens dans une expérience synesthésique. Le Jardin des délices de Michel Blazy, à l’instar de celui de Jérôme Bosch, fonctionne comme un parcours mémoriel dans la concrétion des images et du monde. Il semble a la fois contenir le passé originel et le devenir, le mouvement perpétuel et le transitoire.