Insaisissable
Si l’oeuvre de Lars Fredrikson propose de faire l’expérience de l’insaisissable, elle semble aussi constamment se dérober. En effet, l’aura arsonienne de cet artiste d’origine suédoise, qui vécut entre Antibes et le hameau de Vevouil à
Saint-Saturnin-lès-Apt, est sans doute mieux repérée que son oeuvre. À l’origine du premier studio son dans une école d’art en France, professeur dans cette même école nationale de 1970 à 1991, Lars Fredrikson est reconnu pour son engagement et son implication auprès de ses étudiants à la Villa Arson1. Ainsi s’est formée une génération d’artistes habités par l’écoute, l’espace et le son : Pascal Broccolichi, aujourd’hui professeur de pratiques sonores dans cette même école ; Ludovic Lignon, résident de La Station à Nice ; Isabelle Sordage, à l’initiative de l’Atelier expérimental à Clans, un laboratoire de recherches et de résidences dédiées au son depuis plus de vingt ans, et aujourd’hui doté d’une antenne d’exposition à Nice, l’Espace Rossetti. S’est profilée au fil des ans l’image d’une personnalité hors norme, précurseur de l’art sonore, fabriquant ses propres machines électromécaniques, reclus à la fin de sa vie à Vevouil, dans le Luberon, au sein d’une maison-atelier isolée, dotée d’un studio son fait maison, d’une impressionnante antenne avec laquelle il pratiquait, tel un pirate, le radioamateurisme et d’un groupe électrogène lui permettant une totale autonomie. Il faut dire que son oeuvre a fait l’objet d’une dizaine d’expositions personnelles seulement de son vivant2 et que peu de créations ont été montrées depuis sa disparition en 1997, jusqu’à ce qu’elle soit représentée, à partir de 2015, par la Galerie In Situ - fabienne leclerc, grâce au travail de Gaël Fredrikson, le fils cadet de l’artiste.
Dans le cadre de l’élaboration de cette exposition, l’accès aux archives de l’artiste, grâce à la générosité et à l’hospitalité sans borne de Madeleine Fredrikson-Germain, ancienne épouse de l’artiste, et de leur fils Gaël Fredrikson, a été une source de travail inédite. Cet être paradoxal qui peut paraître hors du circuit de l’art contemporain, plus proche des poètes que des artistes, s’avère formidablement ancré dans son époque, même s’il montrait une réticence, voire une méfiance, vis-à-vis du marché de l’art et de toute tentative de récupération ou d’instrumentalisation – les anecdotes sur le refus d’une rémunération par Sony dans le cadre de l’exposition « Electromagica » à laquelle il participe au Japon en 19693 ou d’une collaboration avec la prestigieuse Galerie Denise René à Paris sont en cela explicites4. Lars Fredrikson participe dans les années 1960-1970 à des expositions collectives qui font date aujourd’hui, comme « Art vidéo / Confrontation 74 », première manifestation majeure d’art vidéo en France, organisée par Suzanne Pagé à l’ARC, au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Proche de la famille Maeght, il réalise de nombreuses gravures dans leur atelier, participe aux Nuits de la Fondation, y réalise une exposition personnelle en 1972 et fait partie de cette prestigieuse collection. Son oeu
vre entre également dans des fonds publics : MAC-Musée d’art contemporain de Marseille (1968), Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (1969), Centre national des arts plastiques (1971), Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur (1983). Dans le Sud de la France, il expose à la Galerie Chave à Vence en 1969, dans l’espace associatif La Caisse à Nice en 1978 et à la Galerie Catherine Issert à Saint-Paul-de-Vence en 1981. L’artiste a l’occasion de montrer à plusieurs reprises son oeuvre sonore à la Villa Arson (1979, 1987, 1990, 1995). Il expose dans des galeries majeures mais sans jamais pérenniser ces collaborations : Denis René, plaque tournante de l’Op Art à Paris, Iris Clert, fer de lance des Nouveaux Réalistes ou la Galleria del Naviglio à Milan qui représente notamment Lucio Fontana. Seule la galerie-librairie L’Ollave à Lyon va travailler de manière suivie avec lui à partir des années 1980 et mettre en avant tant sa pratique sonore que son travail en termes d’éditions avec ses amis poètes. Aujourd’hui, plus de vingt ans après son décès, le projet mené par le MAMAC en collaboration avec le NMNM constitue un premier regard global sur cette oeuvre exigeante et radicale.
Une expérience physique de l’espace
L’ensemble de l’oeuvre de Lars Fredrikson propose une expérience physique de l’espace comme « cosa mentale5 » : Que percevons-nous quand nous regardons/écoutons ? Seulement des fragments de réalité ou une pure réalité virtuelle ?
Cette expérience nous rappelle une donnée primordiale : l’espace s’appréhende à la fois avec les yeux, les oreilles, l’épiderme et l’ensemble de l’organisme. Loin de toute dimension mystique, elle ouvre sur ce qui est en nous, l’espace corporel et mental, en travaillant et interagissant avec les battements de coeur, la circulation sanguine ou la persistance rétinienne et sonore. Cette immersion dans le monde du « dedans », pour reprendre une terminologie de l’artiste, dans cet espace-temps intraduisible, indicible, qui opère avant la parole, reconnecte le spectateur attentif avec son corps dans une expérience de synesthésie primordiale.
L’essence du travail se situe dans cette recherche. L’artiste tente de capter les frontières entre le visible et l’invisible, la présence et l’absence, le dedans/ le dehors, s’intéresse à leurs interactions. Il force une autre appréhension du monde, comme s’il tentait d’ouvrir une brèche dans une dimension inconnue ou inconsciente, dans laquelle nous baignons pourtant.
Pour ce faire, Lars Fredrikson opère un « renversement des habitudes de lecture et les conventions d’écoute6 », une « intensification de l’attention vers ce qui est autour7 », crée un « espace inhospitalier8 », débarrassé des référents habituels. L’oeuvre s’appréhende dans la durée. Il faut donc s’y préparer, se déconditionner, pour regarder, écouter et ressentir autrement. Ces recherches le conduisent des oeuvres électromécaniques aux gravures, reliefs en inox et dessins par fax, jusqu’aux bandes-son. Le but est de produire « une oeuvre immatérielle qui n’existe que dans l’interférence […], une sculpture sans matière […], un son9 ».
Le parcours proposé par l’exposition se divise en trois espace-temps : le sidéral, le virtuel et l’interférence. Le premier met l’accent sur les relations cosmiques des graphies des oeuvres électromécaniques, gravures, dessins, aquarelles et peintures. Cet espace sidéral qui s’attache aux mouvements ondulatoires et aux particules élémentaires conduit vers un espace virtuel avec les reliefs en inox et leurs incommensurables jeux de reflets. Cette zone d’instabilité flottante est introduite par le travail de collaboration avec les poètes que Lars Fredrikson met en oeuvre dans l’espace du livre, pour s’ouvrir sur un réseau d’interférences combinant les collages, dessins par fax et oeuvres sonores. L’exposition propose une expérience fondée sur le dialogue entre les oeuvres jouant sur de multiples rebonds et échos, afin de créer des moments de contemplation, d’immersion et d’expérience sensorielle. Cette approche, résolument non linéaire, met en avant la cohérence, la radicalité et la singularité de la pratique de l’artiste en valorisant tant son apport à l’histoire de l’art que la valeur actuelle de ses réflexions sur l’appréhension des ondes et fréquences invisibles qui nous entourent.
Particules élémentaires
Alors qu’apparaissent les premières expérimentations luminocinétiques dans les années 1960, Lars Fredrikson fabrique ses propres mécanismes pour créer des oeuvres uniques qui modifient notre rapport à l’espace et au monde. Son intérêt pour les particules élémentaires s’inscrit dans cette volonté de rendre palpable ce que l’on ne voit pas et qui est pourtant sous nos yeux. Ainsi, il n’hésite pas à citer des extraits de l’ouvrage La Physique moderne et ses théories d’Arthur March, paru deux ans plus tôt dans le catalogue de son exposition personnelle à la Galleria del Naviglio à Milan en 196710. La description que fait le physicien des particules élémentaires qu’il qualifie de « formes pures » à la structure analogue à celle d’un « champ ondulatoire » correspond parfaitement aux oeuvres de l’artiste. Lars Fredrikson souhaite dissiper ce que le physicien constate : « la division courante en objet et sujet, monde intérieur et monde extérieur », comme « source de tant de difficultés11 ».
Les oeuvres luminocinétiques de Lars Fredrikson fonctionnent comme des caisses de résonance où des particules étincelantes dessinent des constellations magnétiques en suspension. Ces boîtes noires à la vitre translucide sont l’écrin d’éléments mobiles réfléchissants à multiples facettes animés soit par des moteurs, soit par l’air chaud produit par les ampoules. Seules les traces fulgurantes nous parviennent par flashes, évoquant l’infinité de l’espace sidéral et le bruissement de l’univers. Ces oeuvres, dont il ne reste aujourd’hui que très peu d’exemples, agissent comme un sas de déconditionnement projetant vers un ailleurs à la fois proche et lointain, saisi dans un mouvement continuel.
Très différentes visuellement, les « Structures dynamiques », appelées aussi
« Animés », sont de l’ordre de l’inframince. Des dessins évanescents composés de traces et de points de pression apparaissent et disparaissent à la surface de toiles blanches de formats rectangulaires qui fonctionnent comme des écrans. Les dessins sont mus par des mécanismes circulaires proches de l’horlogerie, dotés d’aiguilles effleurant le revers des toiles. L’ensemble du dispositif technique reste donc invisible, si bien qu’un spectateur peu attentif et pressé peut passer à côté de cette expérience incroyable qui introduit la notion du temps lent comme matière. En effet, ces oscillations de surface donnent à voir et à ressentir un autre rapport au mouvement qui modifie notre perception de l’espace, agit sur notre corps, crée une tension palpable. Ces mouvements internes jouent sur cette sensation haptique faisant fusionner de manière indiscernable deux sens primordiaux, la vue et le toucher (l’expression « toucher du regard » est en cela explicite). Si ces oeuvres peuvent évoquer les « Méta-mécaniques » de Jean Tinguely, tant par leur caractère bricolé que leurs effets cinétiques, elles s’inscrivent pour l’artiste dans le prolongement des recherches suprématistes de Kasimir Malevitch menées à leur paroxysme avec Carré blanc sur fond blanc12. En effet, les aspects purement techniques et optiques ne l’intéressent guère, comme il le dit sans doute avec une once d’impudence : « Je suis trop humain pour être cinétique. Le cinétisme, ce n’est rien de plus que des effets optiques. Or, les effets optiques ne me suffisent pas13. » Lars Fredrikson montre des formes pures aux mouvements ondulatoires, faisant écho à une autre réalité. Après une observation lente et prolongée, le son quasi imperceptible des mécanismes se fait plus présent, amplifié par le vertige et le bruit visuel que ces oeuvres en mouvement créent en nous. Immergées dans le noir avec un éclairage rasant, leurs qualités spatiotemporelles sont décuplées et participent d’une expérience de synesthésie dans la même mouvance que les environnements spatialistes de Lucio Fontana.
Lars Fredrikson va très tôt travailler avec le médium télévisuel ou plutôt le détourner, trafiquer et parasiter, à l’instar de Nam June Paik, qui, dès 1963, présente des téléviseurs dont l’image et le son sont déréglés par des générateurs de fréquences. Lars Fredrikson conçoit ses propres synthétiseurs de fréquences lui permettant de générer des formes sur des écrans cathodiques nommés les « Psycho puls-generator ». Des dessins abstraits composés de points et de lignes sinusoïdales surgissent de l’écran, avec force et tension, grâce à des impulsions sonores. Les fragments visuels et sonores de ces « écritures pulsées », appelées aussi « Écritures subversives », restent longtemps en mémoire. Lars Fredrikson s’intéresse à cette interférence entre l’espace réel et l’espace intérieur ; il situe son oeuvre dans cette circulation. La télévision devient dès lors un « volume physique dématérialisé […], une sculpture visuelle et sonore mentale14 ». Aujourd’hui, ces interventions télévisuelles nous parviennent exclusivement à travers les traces qu’il en a laissées puisque l’artiste a détruit ces dispositifs brevetés15, exposés pour la première fois en 1969. Les photographies et vidéos de ces « Télévisions » fonctionnent comme des écritures spatiales, signes d’interférences entre deux mondes. Les graphies ou signaux qui apparaissent à l’écran ou sur les photographies semblent témoigner d’un phénomène expérimental qui bouleverse nos habitudes perceptives et génère un état de tension hypnotique.
Lars Fredrikson va transposer ces questions en gravure. L’intense activité de gravure qu’il entreprend aux ateliers de la Fondation Maeght est d’emblée pour lui un moyen de création et non de reproduction. Ce travail très ténu est composé de traces et de points en saillie ou en creux déposés sur la feuille de papier, laissant une grande part au vide. Les écritures tracées fonctionnent comme des partitions spatiales en relief et volume qui rejouent sur le papier ce qui est à l’oeuvre dans les structures luminocinétiques, avant d’opérer dans les domaines de la sculpture et du livre. Ici aussi, nous faisons l’expérience de la trace, trajectoire entre deux points, interstice entre deux mondes. Le papier couleur argent de nombreuses gravures permet à l’artiste de jouer des reflets insaisissables de cette teinte plus ou moins brillante selon son exposition à la lumière, accentuant la perméabilité des espaces. Cette couleur à la dimension lunaire, qui matérialise l’infini cosmique, incarne le futur et les nouvelles technologiques, va devenir omniprésente dans son oeuvre. Dans les années 1990, alors que Lars Fredrikson se concentre essentiellement sur sa pratique sonore, il réalise une série d’oeuvres blanches où le support est incisé, poinçonné, rappelant à la fois son travail de gravure et les photographies qu’il réalise de ses premières « Structures dynamiques ».
La peinture, mais plus encore l’aquarelle, pratique qu’il va développer tout au long de sa vie, restituent ces tensions. Marquées par la calligraphie chinoise et japonaise où le vide construit le plein et l’abstraction lyrique naissant d’un mouvement primordial, elles vont devenir au fil des ans un relevé sismographique, sidéral et cérébral. Tantôt des éraillures, des poinçons, des perforations apparaissent à la surface de l’oeuvre en volume ou en creux montrant l’évolution d’une pratique d’atelier, entraînant l’oeil et la main. Les traces et couleurs créent des ruptures et engendrent un vocabulaire plastique, sonore et spatial. Les graphies évoquent la pratique picturale et théorique de Wassily Kandinsky ; points et lignes sur plan créent des sonorités mentales et prolongent l’oeuvre, sur le mode du all over, au-delà des limites du cadre. Cette pratique et ces motifs plastiques peuvent également être mis en relation avec les gravures et dessins sur papier que John Cage réalise dans les années 1980, influencé par le Ryōan-ji, jardin de pierres du temple bouddhiste zen de Kyoto, pour restituer la part cachée inhérente à ce qui est visible. Habités par les avancées scientifiques et l’imaginaire spatial, ces premiers travaux en quête de mouvement vont être transposés sur inox dès le début des années 1970.
Espaces virtuels16
Dans les années 1970, Lars Fredrikson collabore avec de nombreux amis poètes : Anne-Marie Albiach, Anthony Barnett, Jean Daive, Edmond Jabès, Roger Laporte, Claude Royet-Journoud, puis Jean de Breyne dans les années 1980 et Maurice Benhamou la décennie suivante. S’il multiplie ces collaborations, c’est sans doute parce que leurs vers font résonner en lui ce qu’il cherche à restituer dans sa pratique. Elyaël ou lecture d’un livre double (1971) est en cela unique, l’édition compose un relief poétique qui apparaît comme le pendant de deux poèmes d’Edmond Jabès (Yaël, 1967, et Elya, 1969), fusionnant dans une série de célestes gravures, réalisée en trois exemplaires tous différents.
Lars Fredrikson « réplique le vers par l’incise17 ». Il n’illustre pas les livres ; il y fait irruption, parfois de manière violente, par incisions et coupures nettes du papier, parfois de manière inframince par des traces quasi imperceptibles, à un tel point que certains éditeurs sont parfois passés à côté de ses propositions. Cependant, les gestes ne sont ni lyriques ni empiriques ; ils relèvent de l’opération chirurgicale ; tout est très précis, calculé comme en témoignent les multiples épreuves et maquettes retrouvées dans ses archives. Les gravures sont parfois toutes différentes d’une édition à une autre. Si ces interventions sont souvent à la limite du visible, elles forcent l’attention et transforment tout leur environnement. Le livre devient une matière sonore et non plus une surface muette. Les actions soulignent l’espace et le temps de la lecture. Elles mettent en avant la physicalité de la lecture, jouent sur le recto et le verso des pages, le creux d’un côté d’une feuille engendrant un volume au revers et vice versa18. Cette réversibilité se retrouve dans les effets réfléchissants des reliefs en inox.
Des plaques d’inox sont travaillées comme de grandes feuilles de papier.
Recoupées, courbées, froissées, martelées, pliées, striées, incisées, rayées, perforées, elles fonctionnent comme des bas-reliefs où s’inscrivent les graphies de l’artiste, composées de lignes et de points dans l’espace. Le geste se traduit en gravure sur la surface et devient volume. L’utilisation de l’acier inoxydable, alliage à base de fer, restitue son appétit pour ce matériau industriel et ses qualités plastiques qui fascinent nombre d’artistes, de Tada Minami à Francisco Sobrino aux frères Baschet. À la frontière entre la peinture, la sculpture et l’installation, les reliefs de Lars Fredrikson dessinent un univers virtuel en constante évolution. Les oeuvres intègrent les reflets de l’espace environnant dans un effet miroir abyssal. Démultipliés, altérés, découpés, fragmentés, les réflexions, miroitements et brillances créent une esthétique du simulacre où aucune vision panoptique n’est possible. Parfois, planes, concaves ou convexes, accrochées au mur, disposées sur un socle ou suspendues dans l’espace, toujours à hauteur humaine, les oeuvres en inox génèrent des environnements spatiaux où le spectateur, au centre du dispositif, est englobé dans l’oeuvre. Ce dernier doit déjouer le syndrome de Narcisse, pour passer de l’autre côté du miroir et faire une expérience hors norme d’un réel replié/déplié. Les oeuvres réagissent et vibrent aux moindres fluctuations de leur environnement (air, lumière, déplacement du spectateur, son) dans une interaction totale. Le temps semble strié et l’espace, insaisissable. Les oeuvres en inox créent un « milieu » nous propulsant à l’intérieur du monde. Le miroitement, la démultiplication illimitée, mais aussi le mouvement perpétuel et la brillance, font écho à la propagation vibratoire et vertigineuse du cosmos. Des éléments en métal ou en plexiglas en suspension accentuent cet effet de flottement, créant une interférence entre le monde réel et virtuel.
L’interférence
L’ensemble de l’oeuvre de Lars Fredrikson vise à évacuer la question de la représentation et à mettre en doute le pouvoir illusionniste des images.
Quand l’image persiste, ce qui est très rare, elle est sapée, parasitée, se développe dans une pratique distanciée et une palette de couleurs réduite pour l’essentiel au noir et blanc en passant par le gris. Entre 1963 et 1965, alors qu’il développe principalement une peinture gestuelle et abstraite, Lars Fredrikson réalise un travail sur l’image photographique telle qu’elle apparaît dans les médias, à l’image des collages de Robert Rauschenberg. Des visuels découpés dans des magazines illustrant des scènes de guerre et des sujets d’actualité sont retravaillés suivant la technique du collage, parfois avec des rehauts de peinture en aplat. Cette accumulation et profusion d’images contemporaines évoquent la multitude des informations visuelles qui nous assaillent jusqu’à ce qu’elles « nous empêche[nt] de voir19 ».
Dès 1974, l’artiste délègue la réalisation d’images à une machine, encore peu démocratisée en France mais qui deviendra l’outil de télécommunication moderne à la fin des années 1980 : le fax. Cet appareil électronique, qui convertit l’image de documents en impulsions électriques pour les transmettre à un destinataire, va devenir dans les mains de l’artiste une véritable machine à dessiner. Ces recherches s’inscrivent dans le prolongement des téléviseurs détournés pour aboutir à une forme d’art cybernétique. À l’inverse du Mail Art, Lars Fredrikson n’utilise pas le fax comme moyen de diffusion, mais détourne l’usage de la machine grâce à ses connaissances techniques dans le domaine du radioamateurisme et de l’électronique pour créer des dessins à part entière. L’artiste capte, via son antenne radio, des fréquences lui permettant de retranscrire une iconographie proche de celle des collages (photographies d’actualité, scènes de guerre), ainsi que des cartes et relevés météorologiques rappelant sa carrière dans la marine marchande. Ces données relatives à l’histoire de l’être humain et du monde sont ensuite brouillées via son studio son avant de « sortir » du fax, telle une impression interstellaire. Lars Fredrikson fabrique des images à la frontière du réel et du virtuel. L’image, parasitée, perd sa dimension illustrative et représentative pour toucher à l’abstraction, devenant une vision des champs ondulatoires imperceptibles à l’être humain.
Dès la fin des années 1960, Lars Fredrikson révèle la matière du son, de l’espace et du temps en s’emparant de sa dimension plastique et en rejetant tout rapport à la musique, même concrète, expérimentale ou minimale, même celles d’Alvin Lucier ou de Max Neuhaus. À l’image d’un John Cage, mais d’une manière très différente, Lars Fredrikson donne à voir les sons : Nous sommes dans les infra et les ultrasons que nous ne “percevons” pas mais que nous enregistrons quand même. Ce sont les réactions du corps à l’expérience de ces “limites” qui m’intéressent dans un rapport nouveau au temps et à l’espace. […] J’aimerais faire partager cela ; il ne s’agit pas d’hallucinations mais de lois physiques dont il faut prendre conscience. C’est en fait une énorme richesse potentielle laissée en friche, et dont je veux donner l’intuition, la sensation et la compréhension esthétiques20. Lars Fredrikson révèle les structures de l’invisible, s’intéresse au mouvement interstitiel, tente de rendre compte d’un large spectre de fréquences, à l’échelle humaine, terrestre et sidérale. De nombreuses oeuvres sonores peuvent être considérées comme l’expression du courant électrique qui passe dans les composants, ou plus généralement d’interférences et de phénomènes impalpables :
« Je pense qu’il y a entre une émission et une réception quelque chose de très précis mais aussi de très fiable. Une fragilité. Une précarité. Dans tout échange beaucoup de circonstances nous séparent – ou bien dans certains cas, nous réunissent. Pour un temps… / Comment en parler ? / Qu’est-ce qu’on entend quand on écoute ? / Qu’est-ce qu’on voit quand on regarde ? / Questions stériles ? Sans doute pour certains, mais pas pour moi21. L’artiste génère des fréquences qui sont davantage perceptibles par le corps que par les oreilles »22. Cette dimension physique du son prend corps notamment dans les basses fréquences et le souffle des bandes analogiques. Dans une volonté d’expérience physiologique, il travaille à partir d’impulsions sonores générées par des oscillateurs, dont certaines sont fondées sur la gamme des rythmes organiques humains. Lars Fredrikson capte ainsi les battements de coeur de Françoise Hardy lors d’un concert du compositeur René Koering dans le cadre des Nuits de la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, en 1969. Mais encore, il enregistre des conversations radio qu’il intercepte et parasite parfois, des bruits de son environnement comme la foudre, un coucher de soleil et les bruits des grillons et d’autres qui restent encore à identifier. L’artiste va développer au fil des ans un arsenal sonore impressionnant composé d’oscillateurs et boîtes à rythmes « maison », de transistors trafiqués, de lecteurs de bandes et de nombreuses autres machines, dont un appareil surnommé par l’artiste « E.T. » en raison de sa forme rappelant le célèbre extraterrestre de Steven Spielberg. Ce studio son, qu’il a aménagé dans sa maison-atelier à Antibes puis Vevouil et qui est aujourd’hui conservé au Centre Pompidou, fait l’objet d’une présentation unique au coeur même de l’exposition, matérialisant le caractère analogique et artisanal de la pratique de l’artiste.
Grâce à la précieuse collaboration du Centre Pompidou, de Gaël Fredrikson et à la complicité d’artistes, des séances d’écoute spécifiques et des workshops seront réalisés à partir de ce matériel de travail. C’est en 1969, à la Maison des Quatre-Vents, que Lars Fredrikson déploie pour la première fois son travail sonore au sein d’une exposition présentant également des oeuvres électromécaniques23. Ces travaux sont réalisés à partir d’oscillateurs générant électroniquement des impulsions sonores diffusées par haut-parleurs. Plusieurs « bruits24 », comme il les appelle alors pour éviter tout amalgame avec la musique, sont répétés de manière cyclique et repris par des feedbacks jusqu’à se déplacer dans l’espace. L’artiste capte également les mouvements de la rue pour engendrer d’autres impulsions sonores, se rapprochant alors de l’art cybernétique, à l’image de la théorie du « Spatiodynamisme » de Nicolas Schöffer, qui réalise à Paris, en 1955, la première sculpture sonore multimédia interactive. Lars Fredrikson insiste sur le fait que notre déplacement dans l’espace influe sur notre perception, notre écoute et notre appréhension et que, de ce fait, à l’instar de la contemplation des reliefs en inox ou des oeuvres électromécaniques, aucune position idéale n’est possible pour le spectateur qui est invité à arpenter attentivement l’espace. Ces recherches sont développées lors de son exposition personnelle à la galerie-librairie L’Ollave en 1989, où cinq oeuvres sonores créent un parcours dans l’espace à partir de petits haut-parleurs. Le son redessine l’espace, le redéfinit, propose une traversée dans la matière et dans le temps. En 1995, pour l’exposition « Murs du son/Murmures » organisée par Jean-Philippe Vienne à la Villa Arson, Fredrikson présente six travaux datant de 1975 à 1995 simultanément dans la Galerie carrée du centre d’art, invitant à percevoir les sons générés avec l’ensemble du corps en mouvement.
Son intérêt pour la trajectoire et la spatialité se retrouve dans son intervention sonore pour le ballet expérimental La Traversée des lieux, mis en scène par Jean-Pierre Soussigne, scénographié par Marie-Noëlle Cadiau et interprété au Palace à Paris à l’été 197925. « Chaque danseur a créé sa propre chorégraphique selon un schéma global26 », matérialisant une spirale, une courbe, une diagonale, un angle droit et une ligne brisée sur la bande-son de Lars Fredrikson qui « n’accompagnait pas la chorégraphie, dans le sens où la musique ou le son le font, en général27 » mais qui fonctionnait davantage comme « un contrepoint, une brèche plutôt agressive28 ». À partir de la fin des années 1970, l’artiste réalise également plusieurs travaux sonores à partir de textes de Jean Daive (1, 2, de la série non aperçue29), de Claude Royet-Journoud (La Notion d’obstacle30) et de Jean de Breyne (Muet ravage31). De durées variables (2 h 15 pour 1, 2, de la série non aperçue ; 40 minutes pour Muet ravage), ces travaux font l’objet de séances d’écoute spécifiques. L’intervention pour 1, 2, de la série non aperçue de Jean Daive est composée de « fréquences qui tournent autour de l’auditeur », d’impulsions sonores qui apparaissent comme des « ponctuations », de « bris de phrases de livre », de « souffle respirant », transportant « l’auditeur dans un espace sonore physique », à l’intérieur du texte32. Certaines oeuvres sont diffusées dans l’obscurité pour ne pas perturber l’écoute comme Muet ravage, diffusée au fond de la galerie-librairie L’Ollave en 1982, ou 900313, présentée dans le second sous-sol du garage de la Villa Arson lors de l’exposition « Pas n’importe où sous le soleil » en 1990 et qui s’interrompait en présence de lumière33. L’isolation sensorielle attenue la frontière entre soi et le monde jusqu’à créer une sensation d’infinité d’espace renforçant l’observation de phénomènes acoustiques extrêmement subtiles. En 1987, Lars Fredrikson réalise une exposition uniquement sur son travail sonore à la Galerie L’Ollave et met en place un programme sous forme de calendrier durant lequel seront diffusées les oeuvres pour créer des conditions d’écoute et d’attention optimums. Ces expériences rappellent son intervention à la galerie associative La Caisse à Nice en 1978. Sur l’invitation de Noël Dolla et Élisabeth Mercier, Lars Fredrikson laisse la galerie vide et y diffuse par l’intermédiaire de quatre haut-parleurs le bruit d’un pinceau sur une toile.
La bande-son restitue l’acte de peindre avec ses hésitations et interruptions.
Le visiteur est invité à voir et écouter autrement en s’imprégnant de ces traces sonores. Si les oeuvres purement optiques posent la question de la production de bruits visuels, l’artiste s’interroge sur la capacité des sons à créer des images mentales. En 1994, au château de Mallefougasse, il place une tente habitée par le son, loin de l’espace d’exposition, dans la nature, pour créer une expérience sonore particulière. L’oeuvre, d’une quarantaine de minutes, est composée d’un son continu (le bruit d’une rivière), d’un silence, puis d’un bruit soudain. Plusieurs bandes restituent le vocabulaire pictural de l’artiste constitué de traces, de points et de vides. En 1981, à la Galerie Catherine Issert, la bande-son restitue également un son continu, un silence et un son soudain. Lars Fredrikson crée des zones de propagation, d’interruption et de silence. Le continu (la ligne, le trait), le soudain (le point, l’incision) et le silence (le vide, l’absence) constituent des concepts sonores et un vocabulaire plastique qu’il va développer tout au long de sa pratique des premières installations électromécaniques aux bandes-son, en passant par les gravures, dessins, peintures et reliefs en inox. La trace en creux ou en relief, griffée, éraflée, incisée et dessinée sur le papier, la toile, l’inox et la matière sonore restituent cet intervalle entre deux mondes et laissent entrevoir le phénomène de synesthésie tant recherché par l’artiste, associant des impressions sensorielles différentes.
L’oeuvre de Lars Fredrikson se révèle bien exigeante, radicale et insaisissable.
Si son caractère précurseur n’est plus à prouver, ses recherches et expérimentations restent encore à explorer, à analyser, à mettre en perspective. Sa virtuosité s’appréhende à la remise en question perpétuelle de son travail et à la réalisation de nouvelles séries d’oeuvres révolutionnairement très différentes les unes des autres, tout en ayant le même centre de questionnements : rendre palpable cette interaction entre deux mondes qui nous semblent distincts et qui sont pourtant imbriqués. « Je travaille aux lisières de chaque genre, sur ses bords, ses limites extrêmes et selon des critères, des contraintes qui m’appartiennent et que je retrouve d’un mode à l’autre. Ce qui me fait penser que, de la peinture aux bandes sonores que je réalise actuellement, il n’y a pas vraiment rupture, mais continuité. C’est toujours le même travail – sur le fil – dont il s’agit34. » L’artiste a réussi à tirer profit de ses connaissances techniques pour générer à partir des outils de télécommunication de son époque (la radio, le téléviseur, le fax, la bande magnétique…) des questionnements qui sont toujours d’actualité (comme l’appréhension des ondes et des fréquences) et qui entrent en résonance avec les pratiques sonores actuelles. Aujourd’hui, l’art sonore connaît un développement considérable, loin des pratiques musicales proprement dites. Grâce à la personnalité de Lars Fredrikson, la Villa Arson est devenue une école pilote en matière d’art sonore en France. Son engagement pédagogique en fait une figure influente pour toute une génération d’artistes qui, aujourd’hui, sont les moteurs à divers degrés de la perpétuation, du partage et du prolongement de ces recherches et valeurs. Gaël Fredrikson, fils cadet de l’artiste, qui a baigné dans cet univers, expérimenté sa philosophie de vie, partagé des expériences uniques, a aujourd’hui le désir de poursuivre cette transmission et cette interaction avec les générations présentes et futures, afin de comprendre plus en profondeur l’oeuvre d’une vie. Voir plus loin, à travers l’espace et le monde, faire l’expérience de l’écoute ; voilà ce que propose, à celui qui le souhaite, cette oeuvre insaisissable.
1 Sur le parcours d’enseignant de Lars Fredrikson et les mutations de l’école, se reporter à la chronologie de Léa Dreyer, p. 249.
2 Galerie 17 (Stockholm, 1964), Galerie Lafare (Avignon, 1965), Galleria del Naviglio (Milan, 1967), Maison des Quatre-Vents (Paris, 1969), Galerie Chave (Vence, 1969), Fondation Maeght (Saint-Paul-de-Vence, 1972), Maison de la Culture (Orléans, 1977), espace associatif La Caisse (Nice, 1978), Galerie Catherine Issert (Saint-Paul-de-Vence, 1981), Galerie L’Ollave (Lyon, 1987 et 1989). Voir Chronologie.
3 Archives de l’artiste.
4 Entretien de Madeleine Fredrikson-Germain avec Jean Daive, « Les ateliers de Lars Fredrikson », Saint-Paul-de-Vence, 7 juillet 2007, in Lars Fredrikson. Inox, cat. exp., Paris, Galerie Pierre Brullé, 2007.
5 « Peu à peu, je me suis intéressé à la sculpture pour parvenir à un espace réel, mais qui ne soit pas volume. Je voulais que ma sculpture parle de l’espace dans lequel nous nous trouvons, qu’elle donne des indications sur ce qui nous entoure, y compris l’espace sidéral. […] Je me posais cette question : la notion ‘‘d’espace qui entoure’’, est-ce que c’est cosa mentale ? », Lars Fredrikson,
propos cités in Maurice Benhamou, Le Visible et l’imprévisible, Paris, L’Harmattan, 2016, p. 19.
6 Jonas (J) Magnusson, « Traduire dans une langue qui n’est pas lue ! Mais je pense aussi que traduire, c’est une bonne façon de lire », in Le Cahier du refuge. Lars Fredrikson, 1-Espace vide en déplacement, Marseille, Centre international de poésie, 1999,
p. 23-24.
7 Ibid.
8 Roger Laporte, in Conférence par Roger Laporte, Claude Royet-Journoud et Lars Fredrikson, Fondation Maeght, 1981, source sonore, archives de l’artiste.
9 Lars Fredrikson, entretien avec Maurice Benhamou, in Préoccupations, Lyon, Galerie L’Ollave, 1998.
10 En fait, l’artiste demande au théoricien et commissaire d’exposition Frank Popper, spécialiste de l’art luminocinétique, un texte analytique sur son travail dans le cadre de cette exposition, mais ce dernier décline sa proposition. Le catalogue fera paraître, pour tout texte, une citation d’Arthur March, archives de l’artiste. 11 Arthur March, La Physique moderne et ses théories, Paris, Gallimard, 1965, cité dans le catalogue de l’exposition personnelle
de Lars Fredrikson à la Galleria del Naviglio
à Milan en 1967.
12 Lars Fredrikson, entretien tapuscrit du jeudi 30 janvier 1969, archives de l’artiste. 13 Ibid.
14 Madeleine Fredrikson-Germain, conférence à la Galerie In Situ - fabienne leclerc, Paris, 26 mars 2017, retranscription par Léa Dreyer.
15 En 1969, Fredrikson dépose un brevet d’invention d’un « procédé et dispositif pour produire sur écran des tracés en variation continuelle ou dans un haut-parleur des rythmes musicaux de percussion. »
16 « Espaces virtuels » est le titre de l’exposition personnelle de l’artiste à la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence en 1972.
17 Francis Cohen, « Recto Verso de Lars Fredrikson », in Le Cahier du refuge, op. cit., p. 30.
18 Lire sur ce point le texte de Francis Cohen cité plus haut.
19 Lars Fredrikson, entretien avec Maurice Benhamou, op. cit.
20 Lars Fredrikson, entretien avec Jean-Claude Montem, in Kanal, nos 31-32, septembre 1987.
21 Lars Fredrikson in Murs du son/Murmures, cat. exp., Nice, Villa Arson, 1995.
22 « La réception ne se fait pas d’abord par les oreilles mais plutôt par le corps », Lars Fredrikson, tapuscrit de l’exposition à la Galerie L’Ollave, Lyon, 1987, archives de l’artiste.
23 Tapuscrit de l’exposition, archives de l’artiste.
24 Ibid.
25 Avant le début des répétitions, les danseurs Catherine Massin, Michel Lestrehan, Dominique Petit et Daria Faïn ont été invités à lire L’Innommable de Samuel Beckett, avec qui Jean-Pierre Soussigne a par ailleurs collaboré à plusieurs reprises.
26 Jean-Pierre Soussigne dans un courriel adressé à Léa Dreyer, le 10 février 2019.
27 Ibid.
28 Ibid.
29 Cette oeuvre est notamment présentée au Centre Pompidou en 1978, puis au Centre culturel suédois à Paris, l’année suivante.
30 Présentée en 1979 au Centre culturel suédois à Paris, à la Galerie Catherine Issert, à Saint-Paul-de-Vence, à la Galerie des Ponchettes à Nice et au Festival d’Avignon.
31 Présentée lors de son exposition personnelle à la Galerie L’Ollave à Lyon, en 1982.
32 Lars Fredrikson, « De parler par écrit de ce que je fais… », in Humidité, op. cit.
33 Sous le soleil, cat. exp., Nice, Villa Arson, 1990.
34 Lars Fredrikson, entretien avec Jean-Claude Montel in Kanal, op. cit.
Si l’oeuvre de Lars Fredrikson propose de faire l’expérience de l’insaisissable, elle semble aussi constamment se dérober. En effet, l’aura arsonienne de cet artiste d’origine suédoise, qui vécut entre Antibes et le hameau de Vevouil à
Saint-Saturnin-lès-Apt, est sans doute mieux repérée que son oeuvre. À l’origine du premier studio son dans une école d’art en France, professeur dans cette même école nationale de 1970 à 1991, Lars Fredrikson est reconnu pour son engagement et son implication auprès de ses étudiants à la Villa Arson1. Ainsi s’est formée une génération d’artistes habités par l’écoute, l’espace et le son : Pascal Broccolichi, aujourd’hui professeur de pratiques sonores dans cette même école ; Ludovic Lignon, résident de La Station à Nice ; Isabelle Sordage, à l’initiative de l’Atelier expérimental à Clans, un laboratoire de recherches et de résidences dédiées au son depuis plus de vingt ans, et aujourd’hui doté d’une antenne d’exposition à Nice, l’Espace Rossetti. S’est profilée au fil des ans l’image d’une personnalité hors norme, précurseur de l’art sonore, fabriquant ses propres machines électromécaniques, reclus à la fin de sa vie à Vevouil, dans le Luberon, au sein d’une maison-atelier isolée, dotée d’un studio son fait maison, d’une impressionnante antenne avec laquelle il pratiquait, tel un pirate, le radioamateurisme et d’un groupe électrogène lui permettant une totale autonomie. Il faut dire que son oeuvre a fait l’objet d’une dizaine d’expositions personnelles seulement de son vivant2 et que peu de créations ont été montrées depuis sa disparition en 1997, jusqu’à ce qu’elle soit représentée, à partir de 2015, par la Galerie In Situ - fabienne leclerc, grâce au travail de Gaël Fredrikson, le fils cadet de l’artiste.
Dans le cadre de l’élaboration de cette exposition, l’accès aux archives de l’artiste, grâce à la générosité et à l’hospitalité sans borne de Madeleine Fredrikson-Germain, ancienne épouse de l’artiste, et de leur fils Gaël Fredrikson, a été une source de travail inédite. Cet être paradoxal qui peut paraître hors du circuit de l’art contemporain, plus proche des poètes que des artistes, s’avère formidablement ancré dans son époque, même s’il montrait une réticence, voire une méfiance, vis-à-vis du marché de l’art et de toute tentative de récupération ou d’instrumentalisation – les anecdotes sur le refus d’une rémunération par Sony dans le cadre de l’exposition « Electromagica » à laquelle il participe au Japon en 19693 ou d’une collaboration avec la prestigieuse Galerie Denise René à Paris sont en cela explicites4. Lars Fredrikson participe dans les années 1960-1970 à des expositions collectives qui font date aujourd’hui, comme « Art vidéo / Confrontation 74 », première manifestation majeure d’art vidéo en France, organisée par Suzanne Pagé à l’ARC, au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Proche de la famille Maeght, il réalise de nombreuses gravures dans leur atelier, participe aux Nuits de la Fondation, y réalise une exposition personnelle en 1972 et fait partie de cette prestigieuse collection. Son oeu
vre entre également dans des fonds publics : MAC-Musée d’art contemporain de Marseille (1968), Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (1969), Centre national des arts plastiques (1971), Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur (1983). Dans le Sud de la France, il expose à la Galerie Chave à Vence en 1969, dans l’espace associatif La Caisse à Nice en 1978 et à la Galerie Catherine Issert à Saint-Paul-de-Vence en 1981. L’artiste a l’occasion de montrer à plusieurs reprises son oeuvre sonore à la Villa Arson (1979, 1987, 1990, 1995). Il expose dans des galeries majeures mais sans jamais pérenniser ces collaborations : Denis René, plaque tournante de l’Op Art à Paris, Iris Clert, fer de lance des Nouveaux Réalistes ou la Galleria del Naviglio à Milan qui représente notamment Lucio Fontana. Seule la galerie-librairie L’Ollave à Lyon va travailler de manière suivie avec lui à partir des années 1980 et mettre en avant tant sa pratique sonore que son travail en termes d’éditions avec ses amis poètes. Aujourd’hui, plus de vingt ans après son décès, le projet mené par le MAMAC en collaboration avec le NMNM constitue un premier regard global sur cette oeuvre exigeante et radicale.
Une expérience physique de l’espace
L’ensemble de l’oeuvre de Lars Fredrikson propose une expérience physique de l’espace comme « cosa mentale5 » : Que percevons-nous quand nous regardons/écoutons ? Seulement des fragments de réalité ou une pure réalité virtuelle ?
Cette expérience nous rappelle une donnée primordiale : l’espace s’appréhende à la fois avec les yeux, les oreilles, l’épiderme et l’ensemble de l’organisme. Loin de toute dimension mystique, elle ouvre sur ce qui est en nous, l’espace corporel et mental, en travaillant et interagissant avec les battements de coeur, la circulation sanguine ou la persistance rétinienne et sonore. Cette immersion dans le monde du « dedans », pour reprendre une terminologie de l’artiste, dans cet espace-temps intraduisible, indicible, qui opère avant la parole, reconnecte le spectateur attentif avec son corps dans une expérience de synesthésie primordiale.
L’essence du travail se situe dans cette recherche. L’artiste tente de capter les frontières entre le visible et l’invisible, la présence et l’absence, le dedans/ le dehors, s’intéresse à leurs interactions. Il force une autre appréhension du monde, comme s’il tentait d’ouvrir une brèche dans une dimension inconnue ou inconsciente, dans laquelle nous baignons pourtant.
Pour ce faire, Lars Fredrikson opère un « renversement des habitudes de lecture et les conventions d’écoute6 », une « intensification de l’attention vers ce qui est autour7 », crée un « espace inhospitalier8 », débarrassé des référents habituels. L’oeuvre s’appréhende dans la durée. Il faut donc s’y préparer, se déconditionner, pour regarder, écouter et ressentir autrement. Ces recherches le conduisent des oeuvres électromécaniques aux gravures, reliefs en inox et dessins par fax, jusqu’aux bandes-son. Le but est de produire « une oeuvre immatérielle qui n’existe que dans l’interférence […], une sculpture sans matière […], un son9 ».
Le parcours proposé par l’exposition se divise en trois espace-temps : le sidéral, le virtuel et l’interférence. Le premier met l’accent sur les relations cosmiques des graphies des oeuvres électromécaniques, gravures, dessins, aquarelles et peintures. Cet espace sidéral qui s’attache aux mouvements ondulatoires et aux particules élémentaires conduit vers un espace virtuel avec les reliefs en inox et leurs incommensurables jeux de reflets. Cette zone d’instabilité flottante est introduite par le travail de collaboration avec les poètes que Lars Fredrikson met en oeuvre dans l’espace du livre, pour s’ouvrir sur un réseau d’interférences combinant les collages, dessins par fax et oeuvres sonores. L’exposition propose une expérience fondée sur le dialogue entre les oeuvres jouant sur de multiples rebonds et échos, afin de créer des moments de contemplation, d’immersion et d’expérience sensorielle. Cette approche, résolument non linéaire, met en avant la cohérence, la radicalité et la singularité de la pratique de l’artiste en valorisant tant son apport à l’histoire de l’art que la valeur actuelle de ses réflexions sur l’appréhension des ondes et fréquences invisibles qui nous entourent.
Particules élémentaires
Alors qu’apparaissent les premières expérimentations luminocinétiques dans les années 1960, Lars Fredrikson fabrique ses propres mécanismes pour créer des oeuvres uniques qui modifient notre rapport à l’espace et au monde. Son intérêt pour les particules élémentaires s’inscrit dans cette volonté de rendre palpable ce que l’on ne voit pas et qui est pourtant sous nos yeux. Ainsi, il n’hésite pas à citer des extraits de l’ouvrage La Physique moderne et ses théories d’Arthur March, paru deux ans plus tôt dans le catalogue de son exposition personnelle à la Galleria del Naviglio à Milan en 196710. La description que fait le physicien des particules élémentaires qu’il qualifie de « formes pures » à la structure analogue à celle d’un « champ ondulatoire » correspond parfaitement aux oeuvres de l’artiste. Lars Fredrikson souhaite dissiper ce que le physicien constate : « la division courante en objet et sujet, monde intérieur et monde extérieur », comme « source de tant de difficultés11 ».
Les oeuvres luminocinétiques de Lars Fredrikson fonctionnent comme des caisses de résonance où des particules étincelantes dessinent des constellations magnétiques en suspension. Ces boîtes noires à la vitre translucide sont l’écrin d’éléments mobiles réfléchissants à multiples facettes animés soit par des moteurs, soit par l’air chaud produit par les ampoules. Seules les traces fulgurantes nous parviennent par flashes, évoquant l’infinité de l’espace sidéral et le bruissement de l’univers. Ces oeuvres, dont il ne reste aujourd’hui que très peu d’exemples, agissent comme un sas de déconditionnement projetant vers un ailleurs à la fois proche et lointain, saisi dans un mouvement continuel.
Très différentes visuellement, les « Structures dynamiques », appelées aussi
« Animés », sont de l’ordre de l’inframince. Des dessins évanescents composés de traces et de points de pression apparaissent et disparaissent à la surface de toiles blanches de formats rectangulaires qui fonctionnent comme des écrans. Les dessins sont mus par des mécanismes circulaires proches de l’horlogerie, dotés d’aiguilles effleurant le revers des toiles. L’ensemble du dispositif technique reste donc invisible, si bien qu’un spectateur peu attentif et pressé peut passer à côté de cette expérience incroyable qui introduit la notion du temps lent comme matière. En effet, ces oscillations de surface donnent à voir et à ressentir un autre rapport au mouvement qui modifie notre perception de l’espace, agit sur notre corps, crée une tension palpable. Ces mouvements internes jouent sur cette sensation haptique faisant fusionner de manière indiscernable deux sens primordiaux, la vue et le toucher (l’expression « toucher du regard » est en cela explicite). Si ces oeuvres peuvent évoquer les « Méta-mécaniques » de Jean Tinguely, tant par leur caractère bricolé que leurs effets cinétiques, elles s’inscrivent pour l’artiste dans le prolongement des recherches suprématistes de Kasimir Malevitch menées à leur paroxysme avec Carré blanc sur fond blanc12. En effet, les aspects purement techniques et optiques ne l’intéressent guère, comme il le dit sans doute avec une once d’impudence : « Je suis trop humain pour être cinétique. Le cinétisme, ce n’est rien de plus que des effets optiques. Or, les effets optiques ne me suffisent pas13. » Lars Fredrikson montre des formes pures aux mouvements ondulatoires, faisant écho à une autre réalité. Après une observation lente et prolongée, le son quasi imperceptible des mécanismes se fait plus présent, amplifié par le vertige et le bruit visuel que ces oeuvres en mouvement créent en nous. Immergées dans le noir avec un éclairage rasant, leurs qualités spatiotemporelles sont décuplées et participent d’une expérience de synesthésie dans la même mouvance que les environnements spatialistes de Lucio Fontana.
Lars Fredrikson va très tôt travailler avec le médium télévisuel ou plutôt le détourner, trafiquer et parasiter, à l’instar de Nam June Paik, qui, dès 1963, présente des téléviseurs dont l’image et le son sont déréglés par des générateurs de fréquences. Lars Fredrikson conçoit ses propres synthétiseurs de fréquences lui permettant de générer des formes sur des écrans cathodiques nommés les « Psycho puls-generator ». Des dessins abstraits composés de points et de lignes sinusoïdales surgissent de l’écran, avec force et tension, grâce à des impulsions sonores. Les fragments visuels et sonores de ces « écritures pulsées », appelées aussi « Écritures subversives », restent longtemps en mémoire. Lars Fredrikson s’intéresse à cette interférence entre l’espace réel et l’espace intérieur ; il situe son oeuvre dans cette circulation. La télévision devient dès lors un « volume physique dématérialisé […], une sculpture visuelle et sonore mentale14 ». Aujourd’hui, ces interventions télévisuelles nous parviennent exclusivement à travers les traces qu’il en a laissées puisque l’artiste a détruit ces dispositifs brevetés15, exposés pour la première fois en 1969. Les photographies et vidéos de ces « Télévisions » fonctionnent comme des écritures spatiales, signes d’interférences entre deux mondes. Les graphies ou signaux qui apparaissent à l’écran ou sur les photographies semblent témoigner d’un phénomène expérimental qui bouleverse nos habitudes perceptives et génère un état de tension hypnotique.
Lars Fredrikson va transposer ces questions en gravure. L’intense activité de gravure qu’il entreprend aux ateliers de la Fondation Maeght est d’emblée pour lui un moyen de création et non de reproduction. Ce travail très ténu est composé de traces et de points en saillie ou en creux déposés sur la feuille de papier, laissant une grande part au vide. Les écritures tracées fonctionnent comme des partitions spatiales en relief et volume qui rejouent sur le papier ce qui est à l’oeuvre dans les structures luminocinétiques, avant d’opérer dans les domaines de la sculpture et du livre. Ici aussi, nous faisons l’expérience de la trace, trajectoire entre deux points, interstice entre deux mondes. Le papier couleur argent de nombreuses gravures permet à l’artiste de jouer des reflets insaisissables de cette teinte plus ou moins brillante selon son exposition à la lumière, accentuant la perméabilité des espaces. Cette couleur à la dimension lunaire, qui matérialise l’infini cosmique, incarne le futur et les nouvelles technologiques, va devenir omniprésente dans son oeuvre. Dans les années 1990, alors que Lars Fredrikson se concentre essentiellement sur sa pratique sonore, il réalise une série d’oeuvres blanches où le support est incisé, poinçonné, rappelant à la fois son travail de gravure et les photographies qu’il réalise de ses premières « Structures dynamiques ».
La peinture, mais plus encore l’aquarelle, pratique qu’il va développer tout au long de sa vie, restituent ces tensions. Marquées par la calligraphie chinoise et japonaise où le vide construit le plein et l’abstraction lyrique naissant d’un mouvement primordial, elles vont devenir au fil des ans un relevé sismographique, sidéral et cérébral. Tantôt des éraillures, des poinçons, des perforations apparaissent à la surface de l’oeuvre en volume ou en creux montrant l’évolution d’une pratique d’atelier, entraînant l’oeil et la main. Les traces et couleurs créent des ruptures et engendrent un vocabulaire plastique, sonore et spatial. Les graphies évoquent la pratique picturale et théorique de Wassily Kandinsky ; points et lignes sur plan créent des sonorités mentales et prolongent l’oeuvre, sur le mode du all over, au-delà des limites du cadre. Cette pratique et ces motifs plastiques peuvent également être mis en relation avec les gravures et dessins sur papier que John Cage réalise dans les années 1980, influencé par le Ryōan-ji, jardin de pierres du temple bouddhiste zen de Kyoto, pour restituer la part cachée inhérente à ce qui est visible. Habités par les avancées scientifiques et l’imaginaire spatial, ces premiers travaux en quête de mouvement vont être transposés sur inox dès le début des années 1970.
Espaces virtuels16
Dans les années 1970, Lars Fredrikson collabore avec de nombreux amis poètes : Anne-Marie Albiach, Anthony Barnett, Jean Daive, Edmond Jabès, Roger Laporte, Claude Royet-Journoud, puis Jean de Breyne dans les années 1980 et Maurice Benhamou la décennie suivante. S’il multiplie ces collaborations, c’est sans doute parce que leurs vers font résonner en lui ce qu’il cherche à restituer dans sa pratique. Elyaël ou lecture d’un livre double (1971) est en cela unique, l’édition compose un relief poétique qui apparaît comme le pendant de deux poèmes d’Edmond Jabès (Yaël, 1967, et Elya, 1969), fusionnant dans une série de célestes gravures, réalisée en trois exemplaires tous différents.
Lars Fredrikson « réplique le vers par l’incise17 ». Il n’illustre pas les livres ; il y fait irruption, parfois de manière violente, par incisions et coupures nettes du papier, parfois de manière inframince par des traces quasi imperceptibles, à un tel point que certains éditeurs sont parfois passés à côté de ses propositions. Cependant, les gestes ne sont ni lyriques ni empiriques ; ils relèvent de l’opération chirurgicale ; tout est très précis, calculé comme en témoignent les multiples épreuves et maquettes retrouvées dans ses archives. Les gravures sont parfois toutes différentes d’une édition à une autre. Si ces interventions sont souvent à la limite du visible, elles forcent l’attention et transforment tout leur environnement. Le livre devient une matière sonore et non plus une surface muette. Les actions soulignent l’espace et le temps de la lecture. Elles mettent en avant la physicalité de la lecture, jouent sur le recto et le verso des pages, le creux d’un côté d’une feuille engendrant un volume au revers et vice versa18. Cette réversibilité se retrouve dans les effets réfléchissants des reliefs en inox.
Des plaques d’inox sont travaillées comme de grandes feuilles de papier.
Recoupées, courbées, froissées, martelées, pliées, striées, incisées, rayées, perforées, elles fonctionnent comme des bas-reliefs où s’inscrivent les graphies de l’artiste, composées de lignes et de points dans l’espace. Le geste se traduit en gravure sur la surface et devient volume. L’utilisation de l’acier inoxydable, alliage à base de fer, restitue son appétit pour ce matériau industriel et ses qualités plastiques qui fascinent nombre d’artistes, de Tada Minami à Francisco Sobrino aux frères Baschet. À la frontière entre la peinture, la sculpture et l’installation, les reliefs de Lars Fredrikson dessinent un univers virtuel en constante évolution. Les oeuvres intègrent les reflets de l’espace environnant dans un effet miroir abyssal. Démultipliés, altérés, découpés, fragmentés, les réflexions, miroitements et brillances créent une esthétique du simulacre où aucune vision panoptique n’est possible. Parfois, planes, concaves ou convexes, accrochées au mur, disposées sur un socle ou suspendues dans l’espace, toujours à hauteur humaine, les oeuvres en inox génèrent des environnements spatiaux où le spectateur, au centre du dispositif, est englobé dans l’oeuvre. Ce dernier doit déjouer le syndrome de Narcisse, pour passer de l’autre côté du miroir et faire une expérience hors norme d’un réel replié/déplié. Les oeuvres réagissent et vibrent aux moindres fluctuations de leur environnement (air, lumière, déplacement du spectateur, son) dans une interaction totale. Le temps semble strié et l’espace, insaisissable. Les oeuvres en inox créent un « milieu » nous propulsant à l’intérieur du monde. Le miroitement, la démultiplication illimitée, mais aussi le mouvement perpétuel et la brillance, font écho à la propagation vibratoire et vertigineuse du cosmos. Des éléments en métal ou en plexiglas en suspension accentuent cet effet de flottement, créant une interférence entre le monde réel et virtuel.
L’interférence
L’ensemble de l’oeuvre de Lars Fredrikson vise à évacuer la question de la représentation et à mettre en doute le pouvoir illusionniste des images.
Quand l’image persiste, ce qui est très rare, elle est sapée, parasitée, se développe dans une pratique distanciée et une palette de couleurs réduite pour l’essentiel au noir et blanc en passant par le gris. Entre 1963 et 1965, alors qu’il développe principalement une peinture gestuelle et abstraite, Lars Fredrikson réalise un travail sur l’image photographique telle qu’elle apparaît dans les médias, à l’image des collages de Robert Rauschenberg. Des visuels découpés dans des magazines illustrant des scènes de guerre et des sujets d’actualité sont retravaillés suivant la technique du collage, parfois avec des rehauts de peinture en aplat. Cette accumulation et profusion d’images contemporaines évoquent la multitude des informations visuelles qui nous assaillent jusqu’à ce qu’elles « nous empêche[nt] de voir19 ».
Dès 1974, l’artiste délègue la réalisation d’images à une machine, encore peu démocratisée en France mais qui deviendra l’outil de télécommunication moderne à la fin des années 1980 : le fax. Cet appareil électronique, qui convertit l’image de documents en impulsions électriques pour les transmettre à un destinataire, va devenir dans les mains de l’artiste une véritable machine à dessiner. Ces recherches s’inscrivent dans le prolongement des téléviseurs détournés pour aboutir à une forme d’art cybernétique. À l’inverse du Mail Art, Lars Fredrikson n’utilise pas le fax comme moyen de diffusion, mais détourne l’usage de la machine grâce à ses connaissances techniques dans le domaine du radioamateurisme et de l’électronique pour créer des dessins à part entière. L’artiste capte, via son antenne radio, des fréquences lui permettant de retranscrire une iconographie proche de celle des collages (photographies d’actualité, scènes de guerre), ainsi que des cartes et relevés météorologiques rappelant sa carrière dans la marine marchande. Ces données relatives à l’histoire de l’être humain et du monde sont ensuite brouillées via son studio son avant de « sortir » du fax, telle une impression interstellaire. Lars Fredrikson fabrique des images à la frontière du réel et du virtuel. L’image, parasitée, perd sa dimension illustrative et représentative pour toucher à l’abstraction, devenant une vision des champs ondulatoires imperceptibles à l’être humain.
Dès la fin des années 1960, Lars Fredrikson révèle la matière du son, de l’espace et du temps en s’emparant de sa dimension plastique et en rejetant tout rapport à la musique, même concrète, expérimentale ou minimale, même celles d’Alvin Lucier ou de Max Neuhaus. À l’image d’un John Cage, mais d’une manière très différente, Lars Fredrikson donne à voir les sons : Nous sommes dans les infra et les ultrasons que nous ne “percevons” pas mais que nous enregistrons quand même. Ce sont les réactions du corps à l’expérience de ces “limites” qui m’intéressent dans un rapport nouveau au temps et à l’espace. […] J’aimerais faire partager cela ; il ne s’agit pas d’hallucinations mais de lois physiques dont il faut prendre conscience. C’est en fait une énorme richesse potentielle laissée en friche, et dont je veux donner l’intuition, la sensation et la compréhension esthétiques20. Lars Fredrikson révèle les structures de l’invisible, s’intéresse au mouvement interstitiel, tente de rendre compte d’un large spectre de fréquences, à l’échelle humaine, terrestre et sidérale. De nombreuses oeuvres sonores peuvent être considérées comme l’expression du courant électrique qui passe dans les composants, ou plus généralement d’interférences et de phénomènes impalpables :
« Je pense qu’il y a entre une émission et une réception quelque chose de très précis mais aussi de très fiable. Une fragilité. Une précarité. Dans tout échange beaucoup de circonstances nous séparent – ou bien dans certains cas, nous réunissent. Pour un temps… / Comment en parler ? / Qu’est-ce qu’on entend quand on écoute ? / Qu’est-ce qu’on voit quand on regarde ? / Questions stériles ? Sans doute pour certains, mais pas pour moi21. L’artiste génère des fréquences qui sont davantage perceptibles par le corps que par les oreilles »22. Cette dimension physique du son prend corps notamment dans les basses fréquences et le souffle des bandes analogiques. Dans une volonté d’expérience physiologique, il travaille à partir d’impulsions sonores générées par des oscillateurs, dont certaines sont fondées sur la gamme des rythmes organiques humains. Lars Fredrikson capte ainsi les battements de coeur de Françoise Hardy lors d’un concert du compositeur René Koering dans le cadre des Nuits de la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, en 1969. Mais encore, il enregistre des conversations radio qu’il intercepte et parasite parfois, des bruits de son environnement comme la foudre, un coucher de soleil et les bruits des grillons et d’autres qui restent encore à identifier. L’artiste va développer au fil des ans un arsenal sonore impressionnant composé d’oscillateurs et boîtes à rythmes « maison », de transistors trafiqués, de lecteurs de bandes et de nombreuses autres machines, dont un appareil surnommé par l’artiste « E.T. » en raison de sa forme rappelant le célèbre extraterrestre de Steven Spielberg. Ce studio son, qu’il a aménagé dans sa maison-atelier à Antibes puis Vevouil et qui est aujourd’hui conservé au Centre Pompidou, fait l’objet d’une présentation unique au coeur même de l’exposition, matérialisant le caractère analogique et artisanal de la pratique de l’artiste.
Grâce à la précieuse collaboration du Centre Pompidou, de Gaël Fredrikson et à la complicité d’artistes, des séances d’écoute spécifiques et des workshops seront réalisés à partir de ce matériel de travail. C’est en 1969, à la Maison des Quatre-Vents, que Lars Fredrikson déploie pour la première fois son travail sonore au sein d’une exposition présentant également des oeuvres électromécaniques23. Ces travaux sont réalisés à partir d’oscillateurs générant électroniquement des impulsions sonores diffusées par haut-parleurs. Plusieurs « bruits24 », comme il les appelle alors pour éviter tout amalgame avec la musique, sont répétés de manière cyclique et repris par des feedbacks jusqu’à se déplacer dans l’espace. L’artiste capte également les mouvements de la rue pour engendrer d’autres impulsions sonores, se rapprochant alors de l’art cybernétique, à l’image de la théorie du « Spatiodynamisme » de Nicolas Schöffer, qui réalise à Paris, en 1955, la première sculpture sonore multimédia interactive. Lars Fredrikson insiste sur le fait que notre déplacement dans l’espace influe sur notre perception, notre écoute et notre appréhension et que, de ce fait, à l’instar de la contemplation des reliefs en inox ou des oeuvres électromécaniques, aucune position idéale n’est possible pour le spectateur qui est invité à arpenter attentivement l’espace. Ces recherches sont développées lors de son exposition personnelle à la galerie-librairie L’Ollave en 1989, où cinq oeuvres sonores créent un parcours dans l’espace à partir de petits haut-parleurs. Le son redessine l’espace, le redéfinit, propose une traversée dans la matière et dans le temps. En 1995, pour l’exposition « Murs du son/Murmures » organisée par Jean-Philippe Vienne à la Villa Arson, Fredrikson présente six travaux datant de 1975 à 1995 simultanément dans la Galerie carrée du centre d’art, invitant à percevoir les sons générés avec l’ensemble du corps en mouvement.
Son intérêt pour la trajectoire et la spatialité se retrouve dans son intervention sonore pour le ballet expérimental La Traversée des lieux, mis en scène par Jean-Pierre Soussigne, scénographié par Marie-Noëlle Cadiau et interprété au Palace à Paris à l’été 197925. « Chaque danseur a créé sa propre chorégraphique selon un schéma global26 », matérialisant une spirale, une courbe, une diagonale, un angle droit et une ligne brisée sur la bande-son de Lars Fredrikson qui « n’accompagnait pas la chorégraphie, dans le sens où la musique ou le son le font, en général27 » mais qui fonctionnait davantage comme « un contrepoint, une brèche plutôt agressive28 ». À partir de la fin des années 1970, l’artiste réalise également plusieurs travaux sonores à partir de textes de Jean Daive (1, 2, de la série non aperçue29), de Claude Royet-Journoud (La Notion d’obstacle30) et de Jean de Breyne (Muet ravage31). De durées variables (2 h 15 pour 1, 2, de la série non aperçue ; 40 minutes pour Muet ravage), ces travaux font l’objet de séances d’écoute spécifiques. L’intervention pour 1, 2, de la série non aperçue de Jean Daive est composée de « fréquences qui tournent autour de l’auditeur », d’impulsions sonores qui apparaissent comme des « ponctuations », de « bris de phrases de livre », de « souffle respirant », transportant « l’auditeur dans un espace sonore physique », à l’intérieur du texte32. Certaines oeuvres sont diffusées dans l’obscurité pour ne pas perturber l’écoute comme Muet ravage, diffusée au fond de la galerie-librairie L’Ollave en 1982, ou 900313, présentée dans le second sous-sol du garage de la Villa Arson lors de l’exposition « Pas n’importe où sous le soleil » en 1990 et qui s’interrompait en présence de lumière33. L’isolation sensorielle attenue la frontière entre soi et le monde jusqu’à créer une sensation d’infinité d’espace renforçant l’observation de phénomènes acoustiques extrêmement subtiles. En 1987, Lars Fredrikson réalise une exposition uniquement sur son travail sonore à la Galerie L’Ollave et met en place un programme sous forme de calendrier durant lequel seront diffusées les oeuvres pour créer des conditions d’écoute et d’attention optimums. Ces expériences rappellent son intervention à la galerie associative La Caisse à Nice en 1978. Sur l’invitation de Noël Dolla et Élisabeth Mercier, Lars Fredrikson laisse la galerie vide et y diffuse par l’intermédiaire de quatre haut-parleurs le bruit d’un pinceau sur une toile.
La bande-son restitue l’acte de peindre avec ses hésitations et interruptions.
Le visiteur est invité à voir et écouter autrement en s’imprégnant de ces traces sonores. Si les oeuvres purement optiques posent la question de la production de bruits visuels, l’artiste s’interroge sur la capacité des sons à créer des images mentales. En 1994, au château de Mallefougasse, il place une tente habitée par le son, loin de l’espace d’exposition, dans la nature, pour créer une expérience sonore particulière. L’oeuvre, d’une quarantaine de minutes, est composée d’un son continu (le bruit d’une rivière), d’un silence, puis d’un bruit soudain. Plusieurs bandes restituent le vocabulaire pictural de l’artiste constitué de traces, de points et de vides. En 1981, à la Galerie Catherine Issert, la bande-son restitue également un son continu, un silence et un son soudain. Lars Fredrikson crée des zones de propagation, d’interruption et de silence. Le continu (la ligne, le trait), le soudain (le point, l’incision) et le silence (le vide, l’absence) constituent des concepts sonores et un vocabulaire plastique qu’il va développer tout au long de sa pratique des premières installations électromécaniques aux bandes-son, en passant par les gravures, dessins, peintures et reliefs en inox. La trace en creux ou en relief, griffée, éraflée, incisée et dessinée sur le papier, la toile, l’inox et la matière sonore restituent cet intervalle entre deux mondes et laissent entrevoir le phénomène de synesthésie tant recherché par l’artiste, associant des impressions sensorielles différentes.
L’oeuvre de Lars Fredrikson se révèle bien exigeante, radicale et insaisissable.
Si son caractère précurseur n’est plus à prouver, ses recherches et expérimentations restent encore à explorer, à analyser, à mettre en perspective. Sa virtuosité s’appréhende à la remise en question perpétuelle de son travail et à la réalisation de nouvelles séries d’oeuvres révolutionnairement très différentes les unes des autres, tout en ayant le même centre de questionnements : rendre palpable cette interaction entre deux mondes qui nous semblent distincts et qui sont pourtant imbriqués. « Je travaille aux lisières de chaque genre, sur ses bords, ses limites extrêmes et selon des critères, des contraintes qui m’appartiennent et que je retrouve d’un mode à l’autre. Ce qui me fait penser que, de la peinture aux bandes sonores que je réalise actuellement, il n’y a pas vraiment rupture, mais continuité. C’est toujours le même travail – sur le fil – dont il s’agit34. » L’artiste a réussi à tirer profit de ses connaissances techniques pour générer à partir des outils de télécommunication de son époque (la radio, le téléviseur, le fax, la bande magnétique…) des questionnements qui sont toujours d’actualité (comme l’appréhension des ondes et des fréquences) et qui entrent en résonance avec les pratiques sonores actuelles. Aujourd’hui, l’art sonore connaît un développement considérable, loin des pratiques musicales proprement dites. Grâce à la personnalité de Lars Fredrikson, la Villa Arson est devenue une école pilote en matière d’art sonore en France. Son engagement pédagogique en fait une figure influente pour toute une génération d’artistes qui, aujourd’hui, sont les moteurs à divers degrés de la perpétuation, du partage et du prolongement de ces recherches et valeurs. Gaël Fredrikson, fils cadet de l’artiste, qui a baigné dans cet univers, expérimenté sa philosophie de vie, partagé des expériences uniques, a aujourd’hui le désir de poursuivre cette transmission et cette interaction avec les générations présentes et futures, afin de comprendre plus en profondeur l’oeuvre d’une vie. Voir plus loin, à travers l’espace et le monde, faire l’expérience de l’écoute ; voilà ce que propose, à celui qui le souhaite, cette oeuvre insaisissable.
1 Sur le parcours d’enseignant de Lars Fredrikson et les mutations de l’école, se reporter à la chronologie de Léa Dreyer, p. 249.
2 Galerie 17 (Stockholm, 1964), Galerie Lafare (Avignon, 1965), Galleria del Naviglio (Milan, 1967), Maison des Quatre-Vents (Paris, 1969), Galerie Chave (Vence, 1969), Fondation Maeght (Saint-Paul-de-Vence, 1972), Maison de la Culture (Orléans, 1977), espace associatif La Caisse (Nice, 1978), Galerie Catherine Issert (Saint-Paul-de-Vence, 1981), Galerie L’Ollave (Lyon, 1987 et 1989). Voir Chronologie.
3 Archives de l’artiste.
4 Entretien de Madeleine Fredrikson-Germain avec Jean Daive, « Les ateliers de Lars Fredrikson », Saint-Paul-de-Vence, 7 juillet 2007, in Lars Fredrikson. Inox, cat. exp., Paris, Galerie Pierre Brullé, 2007.
5 « Peu à peu, je me suis intéressé à la sculpture pour parvenir à un espace réel, mais qui ne soit pas volume. Je voulais que ma sculpture parle de l’espace dans lequel nous nous trouvons, qu’elle donne des indications sur ce qui nous entoure, y compris l’espace sidéral. […] Je me posais cette question : la notion ‘‘d’espace qui entoure’’, est-ce que c’est cosa mentale ? », Lars Fredrikson,
propos cités in Maurice Benhamou, Le Visible et l’imprévisible, Paris, L’Harmattan, 2016, p. 19.
6 Jonas (J) Magnusson, « Traduire dans une langue qui n’est pas lue ! Mais je pense aussi que traduire, c’est une bonne façon de lire », in Le Cahier du refuge. Lars Fredrikson, 1-Espace vide en déplacement, Marseille, Centre international de poésie, 1999,
p. 23-24.
7 Ibid.
8 Roger Laporte, in Conférence par Roger Laporte, Claude Royet-Journoud et Lars Fredrikson, Fondation Maeght, 1981, source sonore, archives de l’artiste.
9 Lars Fredrikson, entretien avec Maurice Benhamou, in Préoccupations, Lyon, Galerie L’Ollave, 1998.
10 En fait, l’artiste demande au théoricien et commissaire d’exposition Frank Popper, spécialiste de l’art luminocinétique, un texte analytique sur son travail dans le cadre de cette exposition, mais ce dernier décline sa proposition. Le catalogue fera paraître, pour tout texte, une citation d’Arthur March, archives de l’artiste. 11 Arthur March, La Physique moderne et ses théories, Paris, Gallimard, 1965, cité dans le catalogue de l’exposition personnelle
de Lars Fredrikson à la Galleria del Naviglio
à Milan en 1967.
12 Lars Fredrikson, entretien tapuscrit du jeudi 30 janvier 1969, archives de l’artiste. 13 Ibid.
14 Madeleine Fredrikson-Germain, conférence à la Galerie In Situ - fabienne leclerc, Paris, 26 mars 2017, retranscription par Léa Dreyer.
15 En 1969, Fredrikson dépose un brevet d’invention d’un « procédé et dispositif pour produire sur écran des tracés en variation continuelle ou dans un haut-parleur des rythmes musicaux de percussion. »
16 « Espaces virtuels » est le titre de l’exposition personnelle de l’artiste à la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence en 1972.
17 Francis Cohen, « Recto Verso de Lars Fredrikson », in Le Cahier du refuge, op. cit., p. 30.
18 Lire sur ce point le texte de Francis Cohen cité plus haut.
19 Lars Fredrikson, entretien avec Maurice Benhamou, op. cit.
20 Lars Fredrikson, entretien avec Jean-Claude Montem, in Kanal, nos 31-32, septembre 1987.
21 Lars Fredrikson in Murs du son/Murmures, cat. exp., Nice, Villa Arson, 1995.
22 « La réception ne se fait pas d’abord par les oreilles mais plutôt par le corps », Lars Fredrikson, tapuscrit de l’exposition à la Galerie L’Ollave, Lyon, 1987, archives de l’artiste.
23 Tapuscrit de l’exposition, archives de l’artiste.
24 Ibid.
25 Avant le début des répétitions, les danseurs Catherine Massin, Michel Lestrehan, Dominique Petit et Daria Faïn ont été invités à lire L’Innommable de Samuel Beckett, avec qui Jean-Pierre Soussigne a par ailleurs collaboré à plusieurs reprises.
26 Jean-Pierre Soussigne dans un courriel adressé à Léa Dreyer, le 10 février 2019.
27 Ibid.
28 Ibid.
29 Cette oeuvre est notamment présentée au Centre Pompidou en 1978, puis au Centre culturel suédois à Paris, l’année suivante.
30 Présentée en 1979 au Centre culturel suédois à Paris, à la Galerie Catherine Issert, à Saint-Paul-de-Vence, à la Galerie des Ponchettes à Nice et au Festival d’Avignon.
31 Présentée lors de son exposition personnelle à la Galerie L’Ollave à Lyon, en 1982.
32 Lars Fredrikson, « De parler par écrit de ce que je fais… », in Humidité, op. cit.
33 Sous le soleil, cat. exp., Nice, Villa Arson, 1990.
34 Lars Fredrikson, entretien avec Jean-Claude Montel in Kanal, op. cit.