© Julien Eveille
Intervention
pour le colloque « La lumière parle : art, architecture et lumière »,
Couvent de La Tourette, Eveux, samedi 16 février 2013 (notes) avec
Éric Michel, artiste ;
David Rosenberg, professeur d’histoire de l’art à l’université Paris VIII et
commissaire d’exposition ; Juan Vélasquez, directeur, IGuzzini
France ; Luis de Miranda, philosophe ; Marc Chauveau, dominicain,
historien de l’art.
Je tiens tout d’abord à remercier frère Marc de m’avoir donné l’opportunité de revenir sur l’intervention d’Eric Michel à La Tourette aussi bien dans le catalogue de l’exposition pour lequel j’ai écrit un texte qu’aujourd’hui par l’intermédiaire de la participation à ce colloque. Je connais Eric depuis 5 ans maintenant, j’ai eu la chance de collaborer avec lui sur différents projets, notamment au Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain de Nice où je travaille, et je dois dire que La Tourette exprime à merveilles ce vers quoi tend l’artiste.
Le titre de ce rendez-vous est emprunté à une de ses oeuvres en néon. Cette oeuvre en apparence très simple est la clé de voûte de l’installation proposé par Éric Michel à la Tourette. Car ces mots sonnent à la fois comme une évidence et une révélation.
Ces mots ont été placé juste au dessus de l’entrée de l’exposition de façon à ce qu’ils soient au dessus du visiteur et que celui-ci ne le remarque pas tout de suite. Il me semble donc qu’Éric Michel génère ici un parcours qui rend compte de son appréhension du lieu. Il n’éclaire pas le bâtiment, il le révèle, en donne sa vision.
Ainsi, faute de dresser un panorama exhaustif sur l’art de la lumière qui serait pour moi aussi fastidieux qu’impraticable, je voudrais vous proposer mon expérience de ce Passage. Je voudrais m’interroger sur ce qu’implique ces mots à La Tourette et dans la démarche de l’artiste. Même s’il n’est pas évident de parler d’une pratique devant son auteur.
Éric va organiser son parcours en trois temps en reprenant les qualités architecturales et typologiques du bâtiment.
L’édifice est composé d’un Couvent disposé en U, largement ouvert sur l’extérieur, abritant toutes les activités collectives et individuelles, et d’un parallélépipède fermé abritant l’espace sacré. ; la lumière y est extrêmement contrôlée et toujours indirecte. Ici, il n’y a aucune ouverture sur l’extérieur et la nature environnante. Au centre, l’atrium en croix ajourée opère un lien entre ces deux mondes. 3 espaces, 3 fonctions, des contrôles de la lumière différents.
Éric va souligner la limpidité de cette organisation en échelonnant son parcours en trois temps :
ÉTAPE 1 : L’INVITATION BLEUE.
¨ La lumière bleue qui jaillit de l’intérieur du couvent jusqu’à l’extérieur nous invite à découvrir le bâtiment.
Image : croquis 1
Certains auront aperçu un souffle bleue qui sort des canons de lumière, qui sont censés attirés la lumière à l’intérieur de l’église jusque dans la crypte. Ici, elle crache un souffle bleu à peine perceptible et pourtant intrigant.
Un peu plus loin, le coeur du couvent laisse entrapercevoir une lueur inaccessible et mystérieuse.
Image : Fluo Blue Line
Puis, notre regard glisse jusqu’à l’imposante barre horizontale du couvent. Un faisceau de lumière bleue s’en dégage avec force. La rampe de lumière forme un coude guidant à la troisième façade. Elle nous invite à contourner le bâtiment jusqu’aux élégantes et magistrales échasses de La Tourette.
Image : Passage Fluo Blue Line avant/après
Fluo Blue line jaillit de l’intérieur du bâtiment, d’un passage (au sens littéral et symbolique) pour dialoguer avec le monde : avec l’architecture et avec la nature environnante. Ce faisceau de lumière bleue renforce l’horizontalité du couvent qui semble léviter entre ciel et terre. Cette idée de passage entre deux mondes est primordiale aussi bien pour Le Corbusier, que pour Eric, on y reviendra.
Fluo Blue line nous guide jusqu’à l’atrium.
ÉTAPE 2: L’ATRIUM : UN SAS DE TRANSITION
¨ Ce 2e temps du parcours prend place dans un espace de circulation et de liaison entre le couvent et l’église.
Image : vue large Fluo Square
Deux Fluo Squares se font face. Ces structures en apparence très simples (4 tubes fluo formant un carré) vont s’emparer et faire vibrer l’espace tout entier jusqu’à créer un environnement de lumière englobant le spectateur.
Image : Fluo Pink Square : reflets
Leurs reflets dans les pans de verre ondulatoires réalisés par Xenakis démultiplient et déstructurent l’espace.
Fluo Blue Square : textures
Le béton projeté des murs se mue en un corps grumeleux enveloppant ou en un immense corail chantant sous les éclaboussures de lumières.
Image : Biblioteca Fluo
Biblioteca Fluo : des blocs de lumières bleues s’agrippent aux ouvertures de la bibliothèque (située en face) et l’inondent d’une immatérialité bleue inaccessible et pourtant presque palpable.
Image : Bengale Red
Au fond du petit conduit, dans la pénombre, un monochrome de lumière rouge Bengale Red se consume près d’un tube et invite à un rapport plus frontal et plus privé.
Je ne parlerai pas du triptyque photographique et de l’oeuvre située dans la salle du chapitre, mais elles jouent le même rôle.
Image : croquis atrium
Ce qui m’importe de souligner ici c’est que
L’artiste tire parti de toutes les propriétés de l’atrium :
- de son caractère ajouré et notamment des pans de verres de Xenakis qui fragmente l’espace et permet de très beaux jeux de reflets et d’ombres et de lumières. On y reviendra.
- de la disposition en croix de l’atrium t des différentes hauteurs et inclinaisons des conduits qui créent une déambulation en zigzags
- des différentes matières : du verre aux différentes peaux du béton (qu’il soit banché ou projeté)
Image : vue ATRIUM
Ce 2e temps du parcours prend place dans un espace de circulation et de liaison entre le couvent et l’église. Éric amplifie cette fonction.
L’atrium agit comme un sas de transition et de déconditionnement. Il nous plonge dans des expériences multiples, des bains lumineux qui modifient notre appréhension de l’espace et du monde. Cette immersion favorise l’interaction de tous nos sens : la vue bien sûr, mais aussi l’ouie (la lumière émet ici des sons et des rythmes différents), le toucher (la lumière a des matérialités différentes : elle est tantôt immatérielle, tantôt grumeleuse, tantôt plus charnelle). L’émotion et le souvenir entrent aussi en jeu.
Éric redessine avec son répertoire le cheminement physique et spirituel suggéré par le plan en croix ajouré de l’atrium. Il invite à la déambulation, multiple les jeux de lumières et de reflets entre l’intérieur et l’extérieur du bâtiment comme pour souligner la porosité et la perméabilité du monde. Il propose une expérience du croisement où tout se coupe et se recoupe.
ÉTAPE 3 : L’ÉGLISE ET LES CRYPTES EN TRAVERSÉE
Image : veritas / église
Sous la devise des Dominicains inscrite en néon par Eric, on entre dans l’église, la lumière et la couleur sont déjà tant présentes qu’Éric Michel intervient ici avec modestie et justesse. Il place une croix de lumière sur le mur Est qui répond à celle de Le Corbusier placée à gauche de l’autel, ainsi qu’à l’orgue juste en face. L’église agit ici comme un dernier sas de déconditionnement.
Image : vue 1, 2 et 3
On descend vers la crypte. Une allée de plaques fluorescentes mène à un monochrome de lumière dont l’aura bleue habite l’espace de manière magistrale. La traversée polychrome et le bloc monochromatique nous transportent dans un champ magnétique bouillonnant, dans une zone d’amplifications. Nous sommes totalement imprégnés par cet univers.
Image : la rencontre 1 et 2
Une rencontre
Un faisceau magenta nous indique une autre voie conduisant à la crypte nord où elle se perd dans « une profondeur bleue ». C’est encore une matérialisation d’un passage.
Image : Seven Blue Altars
Les autels sont soulignés par les tubes fluorescents. L’espace tout entier est imbibé de cette aura bleue. Son souffle atteint l’église en contre-haut et se répand jusqu’à l’extérieur de l’église par l’intermédiaire des canons à lumière. La boucle est bouclée : Voilà d’où provenait le flux initiateur de notre premier étonnement.
Image : croquis 3
Dans cet environnement en apparence clos et souterrain, l’immersion pourtant totale n’est pas oppressante. Loin de se sentir isolée ou enfermée, cette profondeur s’ouvre sur tous les infinis possibles comme si nous étions à l’intérieur du monde et l’entendions respirer.
L’expérience y est kinesthésique, elle s’appréhende par notre corps, par notre interaction avec les éléments, sans passer par le filtre du langage.
LA DÉCOUVERTE DE LA LUMIÈRE PARLE
Image : la lumière parle
J’aime à croire, qu’on découvre La Lumière parle à ce même là, où l’on ressort de cette expérience et découvre au dessus de l’entrée cette affirmation qui sonne comme une vérité inébranlable et pourtant impossible. La lumière parle et je l’entends parfois (ajoute Eric Michel dans un de ses textes : le Passeur).
Cette oeuvre fonctionne comme une simple tautologie (elle répète en quelque sorte, ce qu’elle est). Mais plus encore, elle énonce une absence de parole qui en dit long. Elle met des mots sur une expérience intraduisible. Le parcours se passe du filtre du langage et de la représentation pour atteindre, par le non-dit, l’univers des Correspondances cher à Baudelaire. Ici, tout n’est qu’expérience sensible, rien ne parle. L’immatérialité des oeuvres d’Éric Michel tend à transmettre une sensation. L’impossibilité de dire est sans cesse présente et palpable.
Aussi, j’aime l’idée qu’on ne découvre qu’à la fin du parcours La lumière parle. Car alors celle-ci sonne comme une évidence et une révélation, comme si cette phrase englobait toute l’expérience proposée par Éric Michel. La déambulation n’est cependant pas figée, chacun peut arpenter le bâtiment comme il le souhaite. Mais, cette oeuvre de néon joue un rôle-clé. Peu importe finalement à quel moment on l’aborde, elle résonne en nous.
Ce passage de lumières est un sas de déconditionnement qui nous écarte des codes de représentation traditionnelle. Il est un dispositif permettant une ouverture interstitielle ; non pour que l’on contemple, mais pour que l’on ressente et expérimente. Dans une société où la perception est de plus en plus détachée de l’appréhension physique, Éric Michel réintroduit le corps dans l’expérience visuelle. Il rattache l’oeil non seulement à notre esprit mais aussi et avant tout à notre enveloppe charnelle. Il invoque la collaboration du sens et de la matière, l’interaction entre les éléments.
DU COLLECTIF AU SPIRITUEL
Image : La lumière parle / veritas
Située exactement face à veritas, les deux oeuvres se répondent. La vérité serait-elle que la lumière parle ? Au Couvent de la Tourette, « La lumière parle » d’un passage entre le monde physique et spirituel, entre le corps et l’esprit.
Image : 3 croquis
Happés par un faisceau de lumière bleue lévitant entre ciel et terre, la découverte de l’atrium démultiplie les expériences de lumière jusqu’à déstructurer l’espace et créer un sas de déconditionnement. L’entrée dans l’église est matérialisée par la devise des Dominicains : « Veritas ». Puis on s’en gouffre dans une zone de repli sur soi et sur le monde.
Dans ce parcours de l’extérieur du couvent jusqu’à l’espace sacré ; l’atrium serait l’espace de transition entre ces deux mondes.
Image : tableau
Ces trois temps, l’invitation bleue, l’atrium et la traversée de l’église et des cryptes, accentuent la notion de parcours érigé par Le Corbusier : espace et vie collectives, individuelles et spirituelles
LA LUMIÈRE COMME FORME SYMBOLIQUE
Image : Xenakis
D’abord, la lumière générée par Éric Michel s’intègre dans une architecture faite de béton et de lumière. Et c’est ce qui fait toute la force de cette proposition. L’acte d’architecture peut se définir comme une mise en scène à la fois pratique et symbolique de la lumière tant l’architecte doit composer avec elle pour donner vie au bâtiment. On le voit bien ici. Le Corbusier met en place tout un arsenal (fentes, mitraillettes, canons, fenêtres à béton, ouïes, carrés ‘’Mondrian’’) pour distribuer et contrôler la lumière jusqu’à en faire selon ses mots une « architecture d’ombres et de lumières ». En fait, il s’attribue le pouvoir de faire entrer la lumière extérieure et naturelle à l’intérieur de son bâtiment : par le réfléchissement, la réverbération, le reflet, les motifs géométriques des ouvertures. Xenakis avec la réalisation des pans de verre ondulatoires ajoute à cette création une mélodie. Il rend la lumière mesurable et attire sur elle le regard. et c’est aussi ce que fait Eric. Image
Chez Xenakis comme chez Eric, les fenêtres (les oeuvres) ne sont pas ouvertes sur le monde comme peuvent l’être les fenetres des cellules du Couvent ou celles dont parlent Alberti. Chez Xenakis comme chez Eric, elles ne jouent pas le rôle d’ouverture, mais d’écran de lumière. Elles ne s’ouvrent pas sur le monde, elles donnent une forme à la lumière. La lumière elle-même devient un thème géométrique qui se déplace librement dans l’espace. Ce spectacle d’une puissance qui dépasse l’individu est formidablement mis en scène. On voit ainsi circuler la lumière à travers le monde. La lumière acquiert ainsi toute sa dimension symbolique et intraduisible.
La lumière ne parle pas, elle n’emploie pas des mots. Elle susurre. Elle crée un bruissement juste assez audible pour qu’on le perçoive et non qu’on ne l’entende. La lumière nous raconte une histoire. Elle entre en résonance avec les choses et avec nous même. Elle est ce liant du monde qui fait que toutes les choses sont connectées entre elles comme une maille incommensurable. Elle exprime cette intersubjectivité des choses. Elle est un pont entre le visible et l’invisible.
POUR CONCLURE, je dirai donc que le parcours proposé ici par Éric est composé de trois strates poreuses les unes aux autres.
1. La première invite à l’immersion dans le travail de l’artiste ; elle nous met en contact avec l’oeuvre de lumière d’Éric Michel.
2. La seconde invite à la découverte du bâtiment.
3. La troisième enfin suggère de notre rapport symbolique à la lumière et donc au monde.
Je tiens tout d’abord à remercier frère Marc de m’avoir donné l’opportunité de revenir sur l’intervention d’Eric Michel à La Tourette aussi bien dans le catalogue de l’exposition pour lequel j’ai écrit un texte qu’aujourd’hui par l’intermédiaire de la participation à ce colloque. Je connais Eric depuis 5 ans maintenant, j’ai eu la chance de collaborer avec lui sur différents projets, notamment au Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain de Nice où je travaille, et je dois dire que La Tourette exprime à merveilles ce vers quoi tend l’artiste.
Le titre de ce rendez-vous est emprunté à une de ses oeuvres en néon. Cette oeuvre en apparence très simple est la clé de voûte de l’installation proposé par Éric Michel à la Tourette. Car ces mots sonnent à la fois comme une évidence et une révélation.
Ces mots ont été placé juste au dessus de l’entrée de l’exposition de façon à ce qu’ils soient au dessus du visiteur et que celui-ci ne le remarque pas tout de suite. Il me semble donc qu’Éric Michel génère ici un parcours qui rend compte de son appréhension du lieu. Il n’éclaire pas le bâtiment, il le révèle, en donne sa vision.
Ainsi, faute de dresser un panorama exhaustif sur l’art de la lumière qui serait pour moi aussi fastidieux qu’impraticable, je voudrais vous proposer mon expérience de ce Passage. Je voudrais m’interroger sur ce qu’implique ces mots à La Tourette et dans la démarche de l’artiste. Même s’il n’est pas évident de parler d’une pratique devant son auteur.
Éric va organiser son parcours en trois temps en reprenant les qualités architecturales et typologiques du bâtiment.
L’édifice est composé d’un Couvent disposé en U, largement ouvert sur l’extérieur, abritant toutes les activités collectives et individuelles, et d’un parallélépipède fermé abritant l’espace sacré. ; la lumière y est extrêmement contrôlée et toujours indirecte. Ici, il n’y a aucune ouverture sur l’extérieur et la nature environnante. Au centre, l’atrium en croix ajourée opère un lien entre ces deux mondes. 3 espaces, 3 fonctions, des contrôles de la lumière différents.
Éric va souligner la limpidité de cette organisation en échelonnant son parcours en trois temps :
ÉTAPE 1 : L’INVITATION BLEUE.
¨ La lumière bleue qui jaillit de l’intérieur du couvent jusqu’à l’extérieur nous invite à découvrir le bâtiment.
Image : croquis 1
Certains auront aperçu un souffle bleue qui sort des canons de lumière, qui sont censés attirés la lumière à l’intérieur de l’église jusque dans la crypte. Ici, elle crache un souffle bleu à peine perceptible et pourtant intrigant.
Un peu plus loin, le coeur du couvent laisse entrapercevoir une lueur inaccessible et mystérieuse.
Image : Fluo Blue Line
Puis, notre regard glisse jusqu’à l’imposante barre horizontale du couvent. Un faisceau de lumière bleue s’en dégage avec force. La rampe de lumière forme un coude guidant à la troisième façade. Elle nous invite à contourner le bâtiment jusqu’aux élégantes et magistrales échasses de La Tourette.
Image : Passage Fluo Blue Line avant/après
Fluo Blue line jaillit de l’intérieur du bâtiment, d’un passage (au sens littéral et symbolique) pour dialoguer avec le monde : avec l’architecture et avec la nature environnante. Ce faisceau de lumière bleue renforce l’horizontalité du couvent qui semble léviter entre ciel et terre. Cette idée de passage entre deux mondes est primordiale aussi bien pour Le Corbusier, que pour Eric, on y reviendra.
Fluo Blue line nous guide jusqu’à l’atrium.
ÉTAPE 2: L’ATRIUM : UN SAS DE TRANSITION
¨ Ce 2e temps du parcours prend place dans un espace de circulation et de liaison entre le couvent et l’église.
Image : vue large Fluo Square
Deux Fluo Squares se font face. Ces structures en apparence très simples (4 tubes fluo formant un carré) vont s’emparer et faire vibrer l’espace tout entier jusqu’à créer un environnement de lumière englobant le spectateur.
Image : Fluo Pink Square : reflets
Leurs reflets dans les pans de verre ondulatoires réalisés par Xenakis démultiplient et déstructurent l’espace.
Fluo Blue Square : textures
Le béton projeté des murs se mue en un corps grumeleux enveloppant ou en un immense corail chantant sous les éclaboussures de lumières.
Image : Biblioteca Fluo
Biblioteca Fluo : des blocs de lumières bleues s’agrippent aux ouvertures de la bibliothèque (située en face) et l’inondent d’une immatérialité bleue inaccessible et pourtant presque palpable.
Image : Bengale Red
Au fond du petit conduit, dans la pénombre, un monochrome de lumière rouge Bengale Red se consume près d’un tube et invite à un rapport plus frontal et plus privé.
Je ne parlerai pas du triptyque photographique et de l’oeuvre située dans la salle du chapitre, mais elles jouent le même rôle.
Image : croquis atrium
Ce qui m’importe de souligner ici c’est que
L’artiste tire parti de toutes les propriétés de l’atrium :
- de son caractère ajouré et notamment des pans de verres de Xenakis qui fragmente l’espace et permet de très beaux jeux de reflets et d’ombres et de lumières. On y reviendra.
- de la disposition en croix de l’atrium t des différentes hauteurs et inclinaisons des conduits qui créent une déambulation en zigzags
- des différentes matières : du verre aux différentes peaux du béton (qu’il soit banché ou projeté)
Image : vue ATRIUM
Ce 2e temps du parcours prend place dans un espace de circulation et de liaison entre le couvent et l’église. Éric amplifie cette fonction.
L’atrium agit comme un sas de transition et de déconditionnement. Il nous plonge dans des expériences multiples, des bains lumineux qui modifient notre appréhension de l’espace et du monde. Cette immersion favorise l’interaction de tous nos sens : la vue bien sûr, mais aussi l’ouie (la lumière émet ici des sons et des rythmes différents), le toucher (la lumière a des matérialités différentes : elle est tantôt immatérielle, tantôt grumeleuse, tantôt plus charnelle). L’émotion et le souvenir entrent aussi en jeu.
Éric redessine avec son répertoire le cheminement physique et spirituel suggéré par le plan en croix ajouré de l’atrium. Il invite à la déambulation, multiple les jeux de lumières et de reflets entre l’intérieur et l’extérieur du bâtiment comme pour souligner la porosité et la perméabilité du monde. Il propose une expérience du croisement où tout se coupe et se recoupe.
ÉTAPE 3 : L’ÉGLISE ET LES CRYPTES EN TRAVERSÉE
Image : veritas / église
Sous la devise des Dominicains inscrite en néon par Eric, on entre dans l’église, la lumière et la couleur sont déjà tant présentes qu’Éric Michel intervient ici avec modestie et justesse. Il place une croix de lumière sur le mur Est qui répond à celle de Le Corbusier placée à gauche de l’autel, ainsi qu’à l’orgue juste en face. L’église agit ici comme un dernier sas de déconditionnement.
Image : vue 1, 2 et 3
On descend vers la crypte. Une allée de plaques fluorescentes mène à un monochrome de lumière dont l’aura bleue habite l’espace de manière magistrale. La traversée polychrome et le bloc monochromatique nous transportent dans un champ magnétique bouillonnant, dans une zone d’amplifications. Nous sommes totalement imprégnés par cet univers.
Image : la rencontre 1 et 2
Une rencontre
Un faisceau magenta nous indique une autre voie conduisant à la crypte nord où elle se perd dans « une profondeur bleue ». C’est encore une matérialisation d’un passage.
Image : Seven Blue Altars
Les autels sont soulignés par les tubes fluorescents. L’espace tout entier est imbibé de cette aura bleue. Son souffle atteint l’église en contre-haut et se répand jusqu’à l’extérieur de l’église par l’intermédiaire des canons à lumière. La boucle est bouclée : Voilà d’où provenait le flux initiateur de notre premier étonnement.
Image : croquis 3
Dans cet environnement en apparence clos et souterrain, l’immersion pourtant totale n’est pas oppressante. Loin de se sentir isolée ou enfermée, cette profondeur s’ouvre sur tous les infinis possibles comme si nous étions à l’intérieur du monde et l’entendions respirer.
L’expérience y est kinesthésique, elle s’appréhende par notre corps, par notre interaction avec les éléments, sans passer par le filtre du langage.
LA DÉCOUVERTE DE LA LUMIÈRE PARLE
Image : la lumière parle
J’aime à croire, qu’on découvre La Lumière parle à ce même là, où l’on ressort de cette expérience et découvre au dessus de l’entrée cette affirmation qui sonne comme une vérité inébranlable et pourtant impossible. La lumière parle et je l’entends parfois (ajoute Eric Michel dans un de ses textes : le Passeur).
Cette oeuvre fonctionne comme une simple tautologie (elle répète en quelque sorte, ce qu’elle est). Mais plus encore, elle énonce une absence de parole qui en dit long. Elle met des mots sur une expérience intraduisible. Le parcours se passe du filtre du langage et de la représentation pour atteindre, par le non-dit, l’univers des Correspondances cher à Baudelaire. Ici, tout n’est qu’expérience sensible, rien ne parle. L’immatérialité des oeuvres d’Éric Michel tend à transmettre une sensation. L’impossibilité de dire est sans cesse présente et palpable.
Aussi, j’aime l’idée qu’on ne découvre qu’à la fin du parcours La lumière parle. Car alors celle-ci sonne comme une évidence et une révélation, comme si cette phrase englobait toute l’expérience proposée par Éric Michel. La déambulation n’est cependant pas figée, chacun peut arpenter le bâtiment comme il le souhaite. Mais, cette oeuvre de néon joue un rôle-clé. Peu importe finalement à quel moment on l’aborde, elle résonne en nous.
Ce passage de lumières est un sas de déconditionnement qui nous écarte des codes de représentation traditionnelle. Il est un dispositif permettant une ouverture interstitielle ; non pour que l’on contemple, mais pour que l’on ressente et expérimente. Dans une société où la perception est de plus en plus détachée de l’appréhension physique, Éric Michel réintroduit le corps dans l’expérience visuelle. Il rattache l’oeil non seulement à notre esprit mais aussi et avant tout à notre enveloppe charnelle. Il invoque la collaboration du sens et de la matière, l’interaction entre les éléments.
DU COLLECTIF AU SPIRITUEL
Image : La lumière parle / veritas
Située exactement face à veritas, les deux oeuvres se répondent. La vérité serait-elle que la lumière parle ? Au Couvent de la Tourette, « La lumière parle » d’un passage entre le monde physique et spirituel, entre le corps et l’esprit.
Image : 3 croquis
Happés par un faisceau de lumière bleue lévitant entre ciel et terre, la découverte de l’atrium démultiplie les expériences de lumière jusqu’à déstructurer l’espace et créer un sas de déconditionnement. L’entrée dans l’église est matérialisée par la devise des Dominicains : « Veritas ». Puis on s’en gouffre dans une zone de repli sur soi et sur le monde.
Dans ce parcours de l’extérieur du couvent jusqu’à l’espace sacré ; l’atrium serait l’espace de transition entre ces deux mondes.
Image : tableau
Ces trois temps, l’invitation bleue, l’atrium et la traversée de l’église et des cryptes, accentuent la notion de parcours érigé par Le Corbusier : espace et vie collectives, individuelles et spirituelles
LA LUMIÈRE COMME FORME SYMBOLIQUE
Image : Xenakis
D’abord, la lumière générée par Éric Michel s’intègre dans une architecture faite de béton et de lumière. Et c’est ce qui fait toute la force de cette proposition. L’acte d’architecture peut se définir comme une mise en scène à la fois pratique et symbolique de la lumière tant l’architecte doit composer avec elle pour donner vie au bâtiment. On le voit bien ici. Le Corbusier met en place tout un arsenal (fentes, mitraillettes, canons, fenêtres à béton, ouïes, carrés ‘’Mondrian’’) pour distribuer et contrôler la lumière jusqu’à en faire selon ses mots une « architecture d’ombres et de lumières ». En fait, il s’attribue le pouvoir de faire entrer la lumière extérieure et naturelle à l’intérieur de son bâtiment : par le réfléchissement, la réverbération, le reflet, les motifs géométriques des ouvertures. Xenakis avec la réalisation des pans de verre ondulatoires ajoute à cette création une mélodie. Il rend la lumière mesurable et attire sur elle le regard. et c’est aussi ce que fait Eric. Image
Chez Xenakis comme chez Eric, les fenêtres (les oeuvres) ne sont pas ouvertes sur le monde comme peuvent l’être les fenetres des cellules du Couvent ou celles dont parlent Alberti. Chez Xenakis comme chez Eric, elles ne jouent pas le rôle d’ouverture, mais d’écran de lumière. Elles ne s’ouvrent pas sur le monde, elles donnent une forme à la lumière. La lumière elle-même devient un thème géométrique qui se déplace librement dans l’espace. Ce spectacle d’une puissance qui dépasse l’individu est formidablement mis en scène. On voit ainsi circuler la lumière à travers le monde. La lumière acquiert ainsi toute sa dimension symbolique et intraduisible.
La lumière ne parle pas, elle n’emploie pas des mots. Elle susurre. Elle crée un bruissement juste assez audible pour qu’on le perçoive et non qu’on ne l’entende. La lumière nous raconte une histoire. Elle entre en résonance avec les choses et avec nous même. Elle est ce liant du monde qui fait que toutes les choses sont connectées entre elles comme une maille incommensurable. Elle exprime cette intersubjectivité des choses. Elle est un pont entre le visible et l’invisible.
POUR CONCLURE, je dirai donc que le parcours proposé ici par Éric est composé de trois strates poreuses les unes aux autres.
1. La première invite à l’immersion dans le travail de l’artiste ; elle nous met en contact avec l’oeuvre de lumière d’Éric Michel.
2. La seconde invite à la découverte du bâtiment.
3. La troisième enfin suggère de notre rapport symbolique à la lumière et donc au monde.